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     35 - Rules of fraternity.

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    AuteurMessage
    Atticus

    Atticus

    Messages : 203
    Date d'inscription : 08/01/2011
    MessageSujet: 35 - Rules of fraternity.   35 - Rules of fraternity. EmptyDim 9 Jan - 16:53
    Mihaïl Egonov



    Comme si je pouvais changer le passé... Je me souviens.
    Abaissant les paupières, j'entremêle mes doigts sur mon abdomen. Le visage détendu, la tête en arrière, je m'abandonne à moi-même. J'erre dans d'innombrables songes qui me ramènent à l'enfance.
    Le sourire rayonnant de notre mère. L'air soucieux de notre père. Des éclats de rire dans le jardin gelé. En cherchant bien sous le voile mortuaire qui a recouvert nos vies, je suis sûr de pouvoir me rappeler davantage de bons moments.
    Des soirées où nous hissions les draps à travers la chambre pour nous fabriquer une tente, et durant lesquelles je faisais office de conteur alors que je savais à peine lire. Il y avait des nuits où je pouvais passer un certain temps à veiller sur ton sommeil après un horrible cauchemar. Et de ces journées sombres et froides où nous nous mettions au défi de chercher la meilleure source de chaleur dans la rue, après l'école.
    Des marrons chauds, des mouffles énormes, des boules de neige à foison pendant une grande partie de l'année. De petites histoires entre amis, les premiers amours de gosse, et toujours un jeu à proposer pour vaincre l'ennui. Malgré les fins de mois difficiles, les longues absences de nos parents, le froid, nous avions tout pour être heureux, tant que nous nous serrions les coudes.
    Nous nous éduquions nous-mêmes, nous étions unis entre frères comme les doigts de la main.
    En fin de compte, notre enfance fut si bien remplie...

    Il faut croire que tout allait même si bien que la chance devait tourner.
    Premières souffrances. Le souvenir d'un nom sur une tombe. Suivi d'un second. Notre union s'est morcelée, tout a dégringolé par manque de confiance et d'envie. Nous n'étions plus qu'un groupe pathétique qui se débattait dans le vide.
    Mais si tu savais ce que sont devenus nos frères aujourd'hui... Les as-tu seulement revus depuis ?
    Après notre départ ils se sont accrochés les uns aux autres. Et ils ont parfaitement réussi leur vie. Ils nagent dans un incompréhensible bonheur dénué de la moindre hypocrisie, jamais je n'aurais pensé qu'un tel état d'esprit existe et perdure. Parfois, même, je les envie. Parfois seulement.
    Nous ne pouvons tous nous ressembler. J'ai fini par prendre conscience que, ce bonheur sans faille, je n'en voulais absolument pas. La rareté de ces bons moments en fait la qualité. Une dose modérée, rééquilibrée par un soupçon de malheur, à mes yeux il n'y a rien de meilleur.

    Depuis que je suis mort, je n'arrête pas de penser à ce genre de choses. Depuis que ce fou s'est arrêté de danser dans ma poitrine, je me trouve étonnament calme. Lointain, parfois, entre deux lieux très différents. Plus de stress, plus d'obligations... N'étant officiellement plus de ce monde, n'ayant plus la lame de la Faucheuse sous la gorge, j'apprends à prendre mon temps. Ces nouvelles envies et sensations sont assez difficiles à gérer, parfois, si je veux parvenir à les maîtriser au plus tôt je dois être en paix avec moi-même.
    Je suis un fils de la Nuit depuis seulement cinq jours. Tout mon être se reformate, cherchant à recoller les morceaux. Souvent, juste avant de me laisser assommer par la Torpeur journalière, j'ai l'impression de me sentir vide.
    Je fus Mihaïl Egonov, un pauvre type perdu comme un chien errant, malheureux et déstabilisé, mais aujourd'hui, franchement... je ne sais plus.
    De toute manière, je ne pourrais pas être pire qu'avant, non ?
    Si ?

    Je crois que j'avais complètement perdu les pédales ces derniers mois. Ces dernières années, même. Je profite d'une accalmie de ma tempête personnelle, mais elle peut recommencer à tout moment.
    J'ai l'impression de voir les choses sous un autre angle, maintenant. Les rapports avec les gens ne sont plus les mêmes, et je dois lutter avec moi-même pour préférer la poche de sang à la source vivante. Je n'ose pas mordre, même si ma nature m'y incite. J'ai fait tellement de mal, manquerait plus que je tue encore quelqu'un...
    Quelque part, je crois que c'est surtout pour Edwin que j'essaye de me maîtriser. Les autres, à vrai dire, je n'en ai rien à fiche. Ma conscience trop sollicitée a fini par s'évaporer. je suis sûr que s'il m'arrivait de m'en prendre à quelqu'un, je n'aurais aucun remord. Je me sens différent au point de ne plus savoir quand je franchis la frontière du bien et du mal, je me fie seulement à celui qui me guide. Du coup je comprends aisément qu'un néonate puisse souffrir de l'absence de son Sire...
    Quand je repense à ce qui est arrivé à Youri par ma faute, ça me fait mal. Au moins ça prouve que je n'ai pas complètement perdu mon humanité.
    Personne ne lui a montré la voie, il s'est débrouillé comme il le pouvait. Et le sens moral qu'il laisse apparaître, parfois, n'a pas dû l'aider à se maintenir du bon côté.
    Y'a encore du boulot pour les frères Egonov.

    Mais on va se serrer les coudes maintenant, pas vrai ? Maintenant qu'on s'est retrouvés, qu'on s'est pardonnés, qu'on n'a plus d'ennuis, on sera des frères exemplaires, pas vrai ?
    Non. Ca serait pas drôle.
    Depuis toujours, j'adore t'en balancer plein la tronche, j'aime prendre des coups de ta part, ça sonne comme des gestes fraternels et ça entretient une histoire pleine de rebondissements.
    Parait qu'on s'emmerde, quand on est éternel. Je crois que ça commence déjà.
    Tu ne crois quand même pas qu'on va s'entendre ad vitam æternam, non ?

    Un léger sourire creuse des fossettes dans mon visage.
    Je serai loin d'être un parent parfait... Mais je réparerai mes erreurs, mon Frère. Je t'en fais la promesse.
    Je crois que tout ce qui me restait de rancoeur à ton égard s'est évaporée avec mon dernier soufle. Depuis ma Mort c'est comme si je n'étais plus moi-même. Mes sentiments sont si flous que je ne me rappelle même plus pourquoi je t'ai haï. Peut-être que ça reviendra, peut-être pas. Le néonate est, parait-il, instable. Mais ça, je crois que je l'étais déjà.


    Je redresse la tête et relève les paupières, avachi sur une banquette au fond du bar. Devant moi sur la table, un Bloody Mary, un stylo-plume et quelques feuilles, sur lesquelles je comptais rédiger une lettre pour mes trois autres frères. Depuis que je suis installé ici, tout ce qui s'est inscrit maladroitement en cyrillique jusque-là, c'est cette phrase qui me fait méditer depuis déjà une heure. "Mes chers frères, l'éternité est vide de sens."
    Je compte leur raconter les derniers évènements, et les prévenir que je serai à Alekseevka, leur nouveau lieu de vie, dans la nuit du 2 février. Et qui sait, peut-être pourrai-je convaincre Youri de m'accompagner ? Si d'ici-là nous n'avons pas changé d'avis et encore décidé de nous entretuer.

    Le bar qui était vide il y a une heure est désormais bruyant et plein de monde. Mais grâce à ma légère, infime aura vampirique, les humains semblent tout de même se rendre compte que je suis immortel, et évitent de polluer mon espace vital. Mais avec tous ces coeurs qui palpitent, j'ai une de ces soifs...
    Mes doigts encore bien plus pâles qu'ils ne l'étaient déjà se resserrent sur mon verre. J'ai du mal à sentir la présence de l'alcool avec ce goût enivrant de sang. Mais c'est pas plus mal finalement, si je suis bourré moins vite, je ferai des conneries plus tard.

    Une présence familière s'immisce dans la salle. C'est étrange de pouvoir ressentir les gens comme ça, sans même les voir. Je sais qu'il se déplace, je sais qui il est, et qu'il m'est étroitement lié... Comme une sorte d'instinct primaire, celui qui fait reconnaître un fils à son père.
    Et lorsque Sa silhouette apparait enfin devant moi, je plonge mes yeux dans les siens. L'azur de ses iris me rappelle tant l'aube glacée de la Sibérie.

    Je lui ai fait transmettre un message lui proposant de me rejoindre ici, pour des retrouvailles un peu plus... conventionnelles, dira-t-on. Oh, si je n'avais pas craint qu'il prenne mal mon humour, je l'aurais fait assommer et ligoter sur une chaise, moi aussi.
    Avec tous ces évènements, nous n'avons pas eu l'occasion de nous revoir... En fait, je crois que je me sentais tellement mal ces derniers temps, que je ne tenais pas à lui en faire profiter. Et puis Edwin et moi avions besoin de nous retrouver. Chaque chose en son temps... et le temps, nous l'avons.
    Je lui en ai dit le moins possible dans ce message. Jusqu'à ce qu'il entre dans ce bar, il ignorait mon nouveau statut.
    Surpriiise !

    Un léger sourire dévoile mes canines acérées.

    - Bonsoir, mon Frère...
    _________________


    Youri Egonov


    C’est étrange comme on peut s’habituer à tout… Comme finalement chaque changement majeur dans notre vie, qui nous parait insurmontable, on finit par l’accepter tout simplement. Regardez la facilité avec laquelle j’ai encaissé ma condition de zombie ! Seule ma paralysie, je ne m’y suis jamais fait ! Mais c’est quand même assez normal, personne ne se réjouit à l’idée de rester bloqué à vie dans un fauteuil roulant ! Plutôt crever ! Du coup, j’ai été exaucé !

    Et désormais, je suis ici, dans ce royaume rempli de vampires et je m’y suis acclimaté bien plus que je l’aurais cru ! A la base, je suis quand même venu ici simplement pour exercer ma vengeance sur mon frangin que je rendais directement responsable du fiasco de ma vie. Et maintenant, non seulement, j’ai retrouvé mon frère mais j’ai trouvé quelqu’un qui croit en moi, j’ai trouvé mon Ange quand je pensais acheter une esclave. Ironique, non ?

    Mon trip gros dur à la carcasse épaisse qui veut buter son frère et qui achète une humaine juste pour la Soif n’a pas duré très longtemps ! Anya m’est devenue précieuse, c’est elle qui m’offre son sang et surtout, elle sait que je ne la considèrerai jamais comme une esclave. Elle est bien plus que ça… En un peu plus de deux semaines, elle est devenue non seulement mon Amante, mais aussi mon Amie. Et le pire c’est qu’elle est sans doute mon Amour. A ses cotés, je suis différent, un autre Youri que je découvre en même temps qu’elle, même si je reste terrifié qu’au fond, elle ne s’aperçoive un jour que je n’en vaux pas la peine.

    Du coup, ce château est devenu ma maison quelque part. Même si je suis très conscient que la bulle dans laquelle je flotte avec Anya est plus fragile que du cristal. Il peut arriver tant de choses ici. Mais pour la première fois de toute mon existence, j’ai décidé d’être optimiste. D’arrêter de penser que les Egonov resteront à jamais englués dans leur malheur. Je suis heureux en ce moment et je ferai tout pour préserver cette chance.

    C’est en partie à cause de ce bonheur tout neuf que je n’ai pas revu Mihaïl depuis la nuit où j’ai tenté de le crever. Mais je crois aussi qu’il nous fallait à tous les deux un peu de temps pour digérer tout ça. On s’est tellement empoisonné mutuellement pendant des années !

    Mais tu sais, Frangin, je n’ai pas arrêté de penser à toi… J’ai parlé de toi à Anya qui a eu l’infinie patience de m’écouter raconter notre enfance, nos blessures, nos rancoeurs et nos provocations. Tu sais, je n’avais jamais raconté ça à personne, mais quand j’y réfléchis, dans toute ma vie humaine, je ne me suis jamais ouvert à personne, même pas à toi. Et c’est pas en devenant un suceur de sang que je croyais que ça allait changer. Et bien j’avais tort. Comme quoi les certitudes, c’est du vent !

    Et toi et moi Mihaïl, passé le premier choc de cette soirée où je voulais ta peau, on en a des choses à nous dire ! Puisqu’on s’est craché déjà tout le venin que charriait nos veines, on peut peut-être commencer à s'en purifier… Vraiment…

    Je déborde de pensées positives en ce moment, décidément ! Un peu plus et je me transformerai en Bon Samaritain ! Ce qui serai encore plus ironique que tout le reste. Parce qu’honnêtement, je n’ai rien de ça en moi.

    Tu sais, cette foutue haine remplissait mon cœur mort, elle me gangrénait, elle m’aveuglait mais sans elle, je ne serai pas là aujourd’hui. Je n’aurais sans doute pas supporté ce que François m’a fait subir. Je me suis trouvé une raison de m’accrocher avec cette idée de vengeance, alors désormais, il faut combler ce vide.

    Heureusement que j’ai rencontré Anya, ça m’aide. Mais je reste aussi le sale petit égoïste que j’ai toujours été, chaque nuit, je sacrifie au moins 4 victimes à ma Soif dévorante. Et je n’éprouve rien d’autre que le plaisir de la Vitae qui réchauffe mes veines glacées quand je laisse les corps retomber au sol.

    J’ai besoin de leur sang non seulement pour entretenir ma Vie de Mort mais aussi pour animer mon corps, pour ne pas redevenir ce foutu paralysé qui, même vampire, refuse de me quitter. Je ne sais même pas si durant ces siècles qui m’attendent, je pourrai boire un peu moins pour m’animer. Et je n’en conçois aucun regrets, ni remords, c’est moi ou eux, j’ai choisi déjà. Je refuse de m’en sentir coupable, je survivrai, un point c’est tout…

    Et si ça m’effraie quelquefois, c’est uniquement par rapport au regard d’Anya. Je lui cache tant bien que mal mes excès, je n’ai pas envie de voir le reflet du Monstre dans ses prunelles si bleues. Et c’est pareil pour toi, mon Frère, je ne voudrais pas te décevoir au fond, j’ai été une si cruelle déception perpétuelle pour ma Famille ! Ridicule, n’est-ce pas ? De quêter encore l’approbation des autres dans ma défroque de vampire ? Mais c’est plus fort que moi.

    Bon si on arrêtait l’auto-apitoiement et la mièvrerie sucrée ? Tout n’est pas rose avec mon frangin, nos caractères sont trop semblables finalement pour ne pas se heurter de front la majorité du temps. Mais au moins, on va essayer d’éviter de se faire souffrir, non ? Ca sera déjà pas si mal.

    Vous avez remarqué hein ? Quand je pense à mon frangin, je fais pas semblant, faut toujours que je rumine, bordel ! Allez, je l’admets, une part de moi est surtout excitée comme un gosse depuis que j’ai reçu son message. Plutôt succinct le truc d’ailleurs, il a juste envie de me voir, et ailleurs qu’au château.

    Un détour au garage, pour me mettre au volant de la bagnole que je me suis acheté, une superbe Dodge Viper. J’ai poussé jusqu’à Londres pour me la payer. Et comme un connard pathétique, je veux que Mihl la voit. Ouais, je sais, c’est une caisse de frimeur et en plus c’est totalement puéril comme attitude. Mais ça fera un surprise ! On pourra même se barrer en virée tous les deux ensemble !

    Je l’ai garée sur le parking et je pousse maintenant la porte du bar où il doit déjà m’attendre. Il y a du monde mais j’y fais à peine attention, parce qu’aussi stupide que ça puisse paraitre, je le sens déjà. Et comme un môme idiot, c’est avec un grand sourire d’anticipation mal contenue que je m’arrête devant sa table. Tu vas voir la bagnole que ton raté de petit frère a acheté.

    Et là, Boom ! Ma bouche s’ouvre, laissant le passage à toutes les mouches des environs tellement elle est béante et mon cul s’affale directement sur la banquette.

    Sérieux, tu me fais chier, tu sais ? Il faut toujours que tu me coupes mes effets, merde ! Toujours que tu ramènes la couverture à toi. Frimeur, va !

    Oui, ça va j’ai remarqué, tes canines sont aussi longues que les miennes. C’est récent, très récent ! Et vu le sourire satisfait qui s’étale sur tes lèvres, ta transformation ne t’a pas traumatisé.

    Je pousse un long soupir, en secouant la tête et je lâche :

    « OK…. Là tu gagnes, je m’attendais vraiment pas à ça… »

    Mais je suis content de te voir, tu sais. Et absurdement, au fond je suis heureux, foutu égoïste que je suis, de ne plus être seul dans le monde de la Nuit.

    « Y’a combien de temps ? C’est Edwin qui te l’a fait ? »

    Les questions se bousculent sur mes lèvres alors que je suis fasciné par l’éclat sombre de ses yeux.

    « Ca va tu supportes ? Tu te sens comment ? »

    Mais oui, il supporte, Youri… En plus lui n’a pas eu à se libérer d’une chaise de torture et à ramper jusqu’à la surface en bouffant des rats au passage.

    J’agite les bras en direction d’une serveuse au visage las qui finit par s’amener en soupirant.

    « Vodka, s’il vous plait… Je sais pas toi… Mais moi j’ai bien besoin d’un truc fort… »

    La fille s’éloigne, oui, je sais, l’alcool ne me fait plus le même effet, mais on va trinquer à son changement alors. Putain, Mihaïl, il a fallu que tu copies hein ? Pour une fois que je me singularisais un peu, tu pouvais pas laisser couler ? Non, je suis injuste… Je sais, mais c’est l’habitude…

    Un léger éclat de rire me secoue pendant quelques secondes et je lui murmure :

    « Marrant, hein ? Parce que du coup, c’est moi l’Ainé cette fois… »

    Puéril ? Ouais, bon d’accord mais quand est-ce que j’ai dit que j’étais adulte, moi ?

    _________________


    Mihaïl Egonov



    Je ne pensais pas que ça te choquerait autant. Bon d'accord, c'est pas aussi anodin qu'une nouvelle coupe de cheveux... quoique dans mon cas, une coupe de cheveux serait l'évènement du siècle.
    Pour le coup, je me sens un peu coupable de ne pas t'avoir prévenu plus tôt, j'aurais pu faire moins de mystères. Mais tu sais, c'est loin d'être la raison de nos retrouvailles, n'en faisons pas toute une histoire...
    Tu m'en veux, pas vrai ? Ouais, j'en suis sûr.
    Mais je ne suis pas mort pour frimer, hein. Manquerait plus que ça...

    Enfin, il serait sans doute mieux pour nous deux que j'adhère à cette raison-là.
    Je n'y ai même pas pensé en te demandant de me rejoindre, mais je ne suis pas sûr de pouvoir t'expliquer dans quelles conditions je suis mort... Moi-même, je refuse d'y penser, de peur de me noyer dans ma honte et ma connerie réunies.
    Quand j'ai vu ton grand sourire à mon égard, quelques secondes plus tôt, je me suis dit qu'il était hors de question qu'on se rabâche notre vieille histoire encore et encore. Le passé est derrière nous, maintenant... Même s'il est encore tout proche, je souhaite vraiment qu'on aille de l'avant, qu'on apprenne à se connaître sans s'identifier à notre vécu.
    Je voudrais te raconter tout ça, j'ai besoin d'en parler et pourtant je me refuse à te le faire subir. Je t'ai déjà tellement blessé... Tu ne sauras donc pas que j'ai perdu la vie à cause du souvenir de François. D'ailleurs, personne n'est au courant. A défaut d'emporter ce secret dans ma tombe, je le laisserai fâner dans un coin de ma tête, aussi longtemps que nécéssaire pour arriver à en faire abstraction.

    - Ca fait cinq jours. C'était un... accident. Si Edwin ne m'avait pas sauvé, je ne serais plus là.

    Pas très convaincant, n'est-ce pas ? J'ai fait de mon mieux pourtant.
    Mon Masque est fragilisé, j'ai l'impression d'être désormais transparent. M'en veux pas, mon Frère...

    Lorsque la serveuse arrive, je commande la même chose que lui, par réflexe.
    Puis j'essaye de trouver les mots dans le brouhaha ambiant.

    - Je t'avoue que je me sens... différent. C'est comme si mon âme s'était perdue quelque part... Les premières heures n'ont pas été faciles, mais depuis j'ai la tête vide. Je me trouve d'un ennui... mortel.

    C'est vrai ça, d'ordinaire j'ai la tête pleine de choses incohérentes, et là... C'est la Sibérie, quoi. Désert et froid. Je crois qu'il va me falloir un peu de temps pour me reprendre, ou un déclic, j'en sais rien... Parce que j'ai beau être un con égoïste et mal luné, ma véritable nature me manque.
    Etre vampire, je ne sais même pas si je vais le supporter, c'est encore trop tôt pour le dire. Mais je vais m'accrocher, je le jure, depuis cette nuit-là j'ai réveillé une rage de vivre sans égal.

    J'ai jamais été aussi content d'être encore de ce monde. C'est juste que j'ai du mal à m'adapter, changer d'un coup, comme ça, au bout de trente ans d'humanité... Ca vous retourne la cervelle dans tous les sens, ça fait de vous quelqu'un de fragile, autant face aux vampires qu'aux humains.
    Un nouveau-né qui n'a pas encore de repères et qui a envie de hurler dès que quelque chose le dérange. J'ignore si c'est commun à tous les néonates, ou bien si nous avons notre manière propre d'évoluer dans le monde de la nuit... J'en sais rien.

    Nos verres se déposent devant nous. Reprenant pied dans la réalité, je me souviens du bordel que j'ai mis sur la table, et plie les feuilles pour les ranger dans la poche instérieure de mon blouson.
    Le sourire qui était retombé se redessine finalement sur mes lèvres décolorées.

    - Et c'est vrai, on remet les compteurs à zéro quand on crève, tu deviens donc mon grand frère.

    La place du chef de famille chez les Egonov ! Que penses-tu donc de ce nouveau statut ? Moi je veux bien te le laisser sans problème, j'ai failli à ma tâche, je ne suis pas capable de l'assumer.
    Tu sais, quand j'y repense, avec tout ce qui nous est arrivé, jamais je n'aurais pensé qu'on se retrouverait là, autour d'une vodka, pour discuter tranquillement. Comme deux personnes normalement constituées. Depuis cette nuit dans l'atelier, j'ai retrouvé quelque part dans un coin de ma tête un sentiment protecteur à ton égard, quelque chose qui s'apparente à un esprit de fraternité.
    Je crois qu'il a toujours été là, mais que je ne savais pas comment l'utiliser.
    Qu'est-ce que je suis content de te revoir, frangin, tu n'imagines même pas...

    Je m'apprête à lui demander comment se sont déroulés ses premiers mois en tant que vampire, pour comparer, et me retiens de justesse. Une gaffe monumentale vient d'être évitée. Saleté de mémoire qui me joue des tours, j'ai failli oublier son calvaire... C'est vraiment pas le sujet à aborder.
    Je cherche en vain un sujet de conversation et m'aperçois que toutes mes idées concernent le passé. Les bons moments seront toujours entachés des mauvais, c'est un fait, il faut mieux qu'on les oublie aussi.
    Je me mets alors à fouiller dans les multiples poches de ma veste, comme si j'avais embarqué ma vie dedans. Et finalement, j'en sors une photo qui, je le pense, ne le laissera pas de marbre.

    - Ils me l'ont envoyée la semaine dernière... J'ai repris contact avec eux depuis que je suis à Vampire's Kingdom.

    Sur le perron d'une mairie, Alexeï serre une jeune femme en blanc contre lui, entourés de nos frères et de la famille de sa femme. Tu te rends compte ? Notre frère s'est marié la semaine dernière. Et avec une superbe blonde, quel veinard ! J'aurais bien assisté à cette journée si je n'avais pas été mourrant, et toujours recherché par les flics.

    - Bientôt, je retourne en Russie pour quelques jours. Si tu veux m'accompagner, j'en serais ravi... et eux aussi, je crois.

    Je sais que ça ne sera sans doute pas facile... Ca nous rappelle tant de choses, tout ça.
    Je porte mon verre à mes lèvres, et je suis surpris une fois de plus par la chaleur de l'alcool dans ma gorge, qui a bien diminué.
    Tu crois qu'on s'en lasse, de boire du sang ? Et dire qu'il y a des choses délicieuses que je ne pourrais plus jamais manger. Oh, c'est du détail, l'éternité vaut bien quelques sacrifices.

    Je lui laisse la photo et croise les bras sur la table, un peu ailleurs. C'est stupide, je pense encore au passé... En me souvenant de mes frères, je pense à mes parents.
    Et s'ils étaient encore dans les limbes ? J'aurais pu les croiser. Non c'est absurde... De toute manière, comme j'en suis revenu, je n'y retournerai pas.
    Bref ! Je vais sortir tout ça de ma tête et profiter de la présence de mon frère, c'est bien pour ça que je suis là. Même si je vais avoir du mal à discuter avec celui que j'ai détesté de nombreuses années... Ca ne va pas être du gateau.

    Soudain, comme un mauvais pressentiment, je dirige brusquement mon regard vers le sol. J'ai rêvé, ou je viens de voir disparaître une espèce de tache gluante et verdâtre, à l'instant ?

    - T'as vu ça ?

    Vu la tête qu'il tire, on dirait que je suis le seul à la voir. La tache revient sur le parquet. Mais qu'est-ce que c'est que ça ?!
    Mes pouvoirs, au bout de cinq jours ? Ouais, super, je peux faire apparaître des gélatines répugnantes. C'est cool...
    Tout à coup, avant même que ma soi-disante célérité ne me fasse réagir, un type se prend le pied dedans et s'écrase face contre terre. Vampire, évidemment, et plus âgé que nous deux, sinon c'est pas drôle...
    Enervé, sans doute frustré que ses sens aiguisés ne l'ai pas prévenu d'un quelconque obstacle, le caïnite se relève rapidement et me jette un regard noir. Brusquement, il saisit le col de ma chemise et me soulève tout entier.

    - C'est toi qui as fait ça ?!

    Eh merde, quelle poisse. Manquait plus que ça.
    _________________


    Youri Egonov


    C’est que je ne m’attendais pas exactement à voir mon grand frère transformé en cadavre ambulant à notre prochaine rencontre. Pas que l’éventualité soit si démente, après tout, des étreintes ici, il y en a un paquet. C’est un peu comme ça que les vampires font des gosses ! De grands gosses comme nous ! D’ailleurs, une seconde, je me dis qu’en fait j’aurais sûrement pu changer mon frangin, non ? Je serai devenu le Père de mon Frère ! Délirant comme idée… Et un poil malsain aussi, tu crois pas ?

    Mais si par exemple, Mihaïl s’était retrouvé presque mort devant toi, Youri ? Que la seule chance de lui sauver la peau, c’était de le transformer ? Est-ce que je l’aurais fait ? C’est fort probable, en fait… Je ne veux pas le perdre alors que je viens à peine de le retrouver ! Oui, oui, je sais, j’ai souhaité sa Mort pendant des mois, j’en rêvais, c’était mon idée fixe… Seulement, j’ai bien vu qu’il y a une sacrée différence entre les fantasmes et la réalité, non ? Puisque je n’ai pas été foutu de passer à l’acte !

    Bordel, Mihaïl, sérieux, qu’est-ce qu’on a pu être con tous les deux quand même ! Je me suis transformé en une boule de nerfs haineuse et furieuse qui ne vivait que pour t’emmerder avant ma Mort. Et ensuite, je t’ai instauré grand bouc émissaire de l’échec de ma vie. Et l’artisan de mon calvaire. Alors qu’on a vécu le même en quelque sorte ! Je veux rattraper ce foutu temps perdu, je veux te connaitre, sans nos masques habituels. Tu sais moi le sale petit égoïste sans cœur et toi le grand frère parfait que personne ne peut surpasser. On en a finit avec ça, non ?

    Je le scrute quand il commence à répondre aux questions qui se bousculent un peu dans mon esprit. Oui, ça je me doutais bien que c’était Edwin, mais … Euh… Un accident ? Ben voyons ! T’as trébuché et t’es tombé sur ses crocs ? Et vu ta gène, j’ai bien l’impression que c’est sûrement bien plus que ça. Ce serait pas un accident dans le même genre que le jour où tu es tombé sur mon couteau ? Merde, Mihl ! T’as encore essayé de te buter ? Pourtant je reste muet, visiblement, il n’a pas envie d’en parler plus que ça. Avant, j’aurais poussé, j’aurais sorti à voix haute toutes les conneries qui me passent en tête rien que pour le pousser à bout. Mais pas cette fois. T’as vu, t’es fier, hein ? On dirait bien que j’ai grandi du coup.

    La serveuse repart et il reprend, j’ai du mal à quitter son visage. Ses propos suivants sont un peu embrouillés, mais je n’ai pas de points de repère, personnellement, ma transformation a été un peu hors normes, du moins si on peut dire ça. Je ne suis devenu un vrai vampire que des mois après mon Etreinte, quand je me suis libéré de cette chaise de torture. Les premiers jours pour moi, je ne me souviens que des sévices de François, alors je ne peux pas tellement t’aider.

    « Tu sais, je crois que c’est différent pour tout le monde… Mais bon, passés les premiers moments où tu réalises que ton cœur ne bat plus, il y a aussi une sensation d’euphorie… Quand tu te rends compte de tout ce que tu peux faire… »

    Enfin, bon l’euphorie pour moi c’était d’avoir réussi à sortir de ce trou et surtout d’avoir retrouvé mes jamabes. A ce niveau, tu m’étonnes que j’étais euphorique ! Bref, je suis un peu gêné finalement, heureusement que les vampires ne rougissent plus. Je viens de penser au plaisir de mes premiers meurtres. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, hein ? C’était le pied total ! Et j’ai toujours cette espèce de frein, l’idée de lui apparaitre comme un monstre. C’est débile, non ? Puisque lui aussi est un vampire…

    « Au moins, tu auras Edwin pour t’aiguiller… C’est un Ancien n’est-ce pas ? Comment il réagit lui ? »

    Ben oui, hein, ce que je ne te dis pas, mon Frère, c’est que la réputation de ton Sire dans le château n’est pas des plus flatteuses, vampiriquement parlant. Il faut dire que les zombies ont tendance à rejeter ceux qu’ils considèrent comme des faibles, des traitres à leur race. Alors, ça ne va pas être évident, ni pour lui, ni pour toi… Mais bon, on a l’Eternité maintenant pour rattraper nos conneries.

    La serveuse dépose nos vodkas et se retire sans même nous regarder. Mon sourire se ranime, le premier choc passé et j’enchaine :

    « Ouais, tu sais bien que mon fantasme secret, c’est d’avoir ta tronche de frimeur… »

    Je lui fais un clin d’œil, parce qu’avant, c’est le genre de trucs que je lui aurais lancé pour l’emmerder, mais là c’est plus destiné à déconner. Les compteurs à zéro, c’est finalement ce que je désire le plus moi aussi. Effacer toutes mes conneries, même si je sais qu’elles alourdissent encore ton cœur et le mien. Mais maintenant qu’ils ne battent plus, ça devrait nous rendre plus légers, non ?

    Léger blanc et Mihl qui fouille dans ses poches pour en sortir une photo qui me paralyse presque. Mes doigts tremblent un peu quand je la prends. Bon Dieu, Alexeï ! Tu sais, j’ai toujours pensé au fond de moi que je ne les reverrai jamais à partir du moment où on s’est enfuit ensemble. Après tout, c’est de ma faute si on a arraché à mes autres frères celui qui s’occupait d’eux, leur second Père ! Mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas pensé à eux, bien au contraire.

    J’avale ma vodka cul sec en regardant toujours la photo.

    « Qu’est-ce qu’il est grand, bordel ! »

    Je souris en secouant la tête, c’est vrai que c’est carrément une bombe atomique qu’Alexeï a épousé. Et à cause de moi, Mihl n’étais pas à ton mariage. Mais qu’est-ce que j’y peux maintenant de toutes façons. Les remords ne changeront rien ! Autant avancer…
    Mais mon sourire s’efface devant sa proposition et ça sort tout seul :

    « Tu… Tu crois qu’ils voudront bien me voir ? Je veux dire… Ils me détestent pas ? Et puis, ils ne vont pas voir la différence… Qu’on est des foutus zombies ? »

    C’est vrai quoi, pas sûr qu’ils apprécient. Et puis on n’est pas censés garder le secret sur la réalité des vamps ? Enfin ça j’en sais rien en fait… Même si je me doute que ça foutrait un beau bordel si tous les humains savaient qu’ils ne sont pas au sommet de la chaîne alimentaire.

    Je regarde l’endroit au sol que Mihaïl me désigne en reposant doucement la photo sur la table. Ben je vois rien, Frangin ! T’as des hallus ou quoi ? Edwin et toi vous fumez des champignons le soir au réveil ? Ah mais cette fois, ça y est, je vois ! Je fronce les sourcils, je me penche un peu pour voir un peu mieux le truc verdâtre par terre et un idiot de vampire se prend les pieds dedans pour s’étaler par terre. Au moins, c’est sûr que c’est pas une hallu.

    Un rire m’échappe, ouais, j’y peux rien, sa chute était tellement loin de la grâce vampirique habituelle que ça me fait marrer. Mais lui, il rigole pas, non ! Au contraire, le voilà qui chope mon frangin par le col et le soulève de la banquette.

    « Hey du calme, l’Ancien… Il ne l’a pas fait exprès… Tu vois bien que c’est un néo-nate, il contrôle rien encore… »

    Je me trouve quand même vachement aimable, moi avec cet abruti grognon, mais bon vu que c’est un Vieux autant essayer d’arrondir les angles, non ? Histoire de ne pas se faire transformer en poussière trop vite…

    Ce type est une masse en plus, des cheveux blonds graisseux, un costume qui sent la naphtaline, qui doit dater des années 70 et quand il tourne sa tête vers moi, je vous jure, il grogne ! Et il m’en retourne une, ce con ! Qui m’envoie voler par terre. J’ai pas anticipé et je me ramasse lamentablement.

    Seulement là, il m’a mit en rogne, cet abruti ! Déjà on touche pas à mon Frangin, parce qu’il n’y a que moi qui lui met des baffes ! Et puis merde quoi ! Pour une fois que je suis conciliant, limite respectueux, je m’en prends une. Il y a de quoi vous décourager d’être aimable, non ?

    Et en plus l’enfoiré en allonge une autre sur la joue de mon frère ! Non mais il se prend pour qui lui ? Je vais lui montrer qu’il faut pas chauffer les Egonov. D’ailleurs c’est dingue, ce que j’ai l’impression de brûler, c’est du à quoi ?

    Je ne sais pas ce qui me pousse mais au lieu de me relever, ma paume se colle au sol et une bonne partie du plancher devient verglacé. Sans réfléchir, je me relève, glisse vers lui comme sur une patinoire ( regarde la classe que j’ai Frangin ) et je le pousse en y mettant toute ma force.

    Surpris, il part en arrière, se met à agiter bras et jambes et finit par s’étaler, sa tête cognant plutôt violemment sur le parquet glacé.

    « Mais tu tiens pas sur tes jambes toi ma parole ? »

    Ouais, pas très malin de dire ça en rigolant mais bon il m’a cherché , non ? Je souris à Mihaïl sauf que, bien sûr, le vampire se relève et il est sacrément furieux. Et merde ! Voilà que ses deux mains prennent feu et qu’il me balance en souriant :

    « T’es pas très futé, néo-nate ! Mais ça tu vas pas avoir le temps de le comprendre !»

    Euh Mihaïl ? Qu’est-ce qu’on fait là ? Parce qu’on risque d’avoir un peu chaud aux fesses…

    _________________

    Mihaïl Egonov



    Nos frères ne t'en veulent pas, tu sais... Même si tu n'étais pas vraiment proche du reste de la Famille les quelques temps précédent notre départ, je pense pouvoir affirmer qu'ils t'appréciaient.
    Quand je les ai revus, il y a de cela plusieurs mois, nous n'avons que peu parlé de toi. Je ne voulais pas leur raconter ce qui s'était passé, et que tu étais mort à cause de moi... Je m'en voulais tellement, j'ai préféré faire l'impasse sur ce sujet, et mentir en disant que j'avais toujours vécu à Paris, et que je n'avais pas de tes nouvelles depuis un certain temps. Les briser un peu plus n'était pas indispensable. Alors j'ai gardé mes cauchemars pour moi-même, gémissant la nuit tout seul dans mon lit, hurlant parfois dans mon sommeil, sans pouvoir être en mesure de leur expliquer pourquoi. Me confronter à leur réalité si... normale... me fut extrêmement difficile.
    Comment aurais-je pu leur dire qu'on t'avait égorgé, et qu'on m'avait fait prisonnier ensuite ?

    Je n'en fus capable qu'à travers une lettre, une fois de retour à Vampire's Kingdom. Je l'ai adressée à Mika, je lui ai tout expliqué. Lui-même m'a dit l'avoir raconté à Al et Vova. Leur foutu secret, ces sangsues pouvaient se le mettre où je pense. C'est d'ailleurs toujours le cas, je ne leur serai jamais solidaire.
    Et puis je lui en ai écrit des dizaines, voir des centaines, pour lui dire que je voulais mourir. Un appel au secours lancé dans le vide à un gosse de 18 ans, finalement je les ai toutes brûlées, pour ne lui demander que de me conter leur nouvelle vie à Alekseevka. Plus tard, deux jours après ton retour, je leur ai annoncé que tu étais un vampire, sans leur raconter comment cela était arrivé.
    Ils savent tout du royaume de la nuit, mon Frère. Tout sauf son emplacement. Même si j'avais su exactement où il est, jamais je ne le leur aurait dit. Car je les connais, ils sont bien capables de tambouriner aux grilles du domaine, pour venir nous chercher par la peau des fesses.

    Mon Frère, toi et moi ne méritons pas l'affection de ces trois petits gars. Ils sont vraiment trop bien pour deux irresponsables qui ont passé leur temps à se pourrir l'existence.
    C'est dingue quand même, quand je repense au sentiment fraternel qui unit cette famille, j'ai l'impression qu'il est démesuré. T'as déjà vu ça quelque part, toi, des frères aussi soudés les uns aux autres ? Ouais, même toi et moi, on est soudés... D'une certaine façon. On a été soudés dans le mauvais sens, et ce n'est qu'une fois morts que nous retournons la situation.

    Ce qui me réjouit le plus dans cette Mort... c'est qu'elle est vide de fatalité.




    Je me débats, essayant tant bien que mal de me libérer de l'emprise de l'Ainé. J'ai en horreur le contact physique et surtout tu n'es pas du tout mon genre, le grincheux.
    C'est à ce moment précis que la gélatine verte me serait très utile, je lui en tartinerais bien la figure, mais c'est quand je la désire le plus qu'elle ne se manifeste pas. La faire apparaître quand je le souhaite, je crois que j'en suis encore loin. Cette fois je suis sûr et certain que son apparition m'était liée, mais je n'arrive toujours pas à l'expliquer. A quoi ça sert, franchement ? C'est dégueu et ça m'attire des emmerdes.

    - Ecoute, mec, on va pas en faire tout un bain de sang, je l'ai pas fait exprès !

    Ce truc, là, je ne sais même pas ce que c'était ! En fait ça me rappelle vaguement une texture familière, mais j'ai beau chercher, rien ne me vient à l'esprit. En ce moment, mes souvenirs sont un bordel sans nom.
    Je sursaute lorsqu'il frappe Youri.

    - Eh !! Enflure, tu touches pas à mon frère !

    Et pour toute réponse je m'en prends une aussi. Je sens craquer ma mâchoire sous l'impact et m'écrase lourdement sur la banquette. En temps normal, une beigne pareille m'aurait assommé sur le coup. Si être un vampire peut être un fardeau, ça comporte aussi beaucoup d'avantages.
    Je reprends mes esprits au bout de quelques secondes et c'est pour assister à une scène surprenante. Punaise ! Youri, t'es mon héros.
    Le vampire s'écroule sur la patinoire sans aucune grâce.

    Allez savoir pourquoi, le stress sans doute, je me mets à ricaner. Ca ne me ressemble absolument pas.
    Mais avouez que la situation a quelque chose de drôle ! Même si, malgré notre statut vampirique, on va se faire ratatiner. Je dois être en proie à l'insouciance, ou a une nouvelle tendance suicidaire ! Comme si je ne me souciais plus de l'avenir... Toi et moi, on a déclenché plus d'une bagarre, mais jamais de cette façon. Jamais dans le même camp. Et le simple fait de te savoir avec moi, l'un prêt à se battre pour l'autre, ça engendre une nouvelle force, une source de bonne rage au creux du corps et de l'esprit. C'est ça, que j'ai toujours désiré !
    Tu as raison, il y a bien et bien une sentation d'euphorie qui est en train de naître. Et je n'ai plus envie de penser au reste, alors je te rends ton sourire. Mon visage n'a pas l'habitude d'être déformé comme ça.

    Stupéfié par le revirement de situation, je n'ai pas pu retenir un juron de surprise lorsque les mains du fils de Caïn se sont enflammées. En russe, toujours ! Il y a des automatismes qui ne changent pas.
    Adossé au mur, je suis comme statufié. J'ai la trouille de plein de choses, d'accord, mais là c'est paralysant... Les flammes dansent devant mes yeux écarquillés, c'est comme si je les sentais déjà me lécher la carcasse. Quelques secondes plus tard, me rappelant avec difficulté tout ce que je sais des vampires, je me souviens que le feu fait partie de tout ce qui peut tuer un Immortel.
    Ah non, je viens de mourir, tu ne me crameras pas la gueule, pauv'naze ! Et si tu oses t'en prendre à mon grand frère, je te jure que je... Que je... Arf, que je ne pourrai pas faire grand chose malgré toute la bonne volonté du monde. Je suis un nouveau-né, jamais je ne pourrais me prétendre supérieur à un Ancien ! A en juger par son aura, je dirais qu'il a bien trente ou quarante-ans d'expérience de plus que nous.
    Peut-être qu'il est un peu plus bête ?

    Il s'apprête à s'en prendre à mon frangin, un sourire diabolique accroché aux lèvres. D'un geste vif, je chope mon verre de vodka encore plein aux deux tiers et balance le contenu en sa direction, calculant approximativement sa trajectoire pour que les flammes de sa main gauche s'intensifient brusquement et dévient sur son visage. Un tir parfait, Thierry !
    Je viens de trouver la recette de la sangsue flambée.
    Surpris, le caïnite s'agite, glisse sur le verglas, entrainant dans sa chute cinq ou six consommateurs qui se mettent à hurler. Un immortel encore plus âgé que lui, effrayé par le feu qui a pris au bas de son long manteau de cuir, s'excite dans tous les sens jusqu'à se débarrasser de son vêtement. Il s'acharne alors sur le pyromane, enfonçant ses griffes dans sa gorge.
    Pendant ce temps, d'autres gens se sont écroulés sur la glace. T'as pas fait semblant, frangin ! Les quelques humains, sentant venir le massacre comme les animaux fuient la forêt avant un tremblement de terre, s'empressent de se diriger vers la sortie, se cassant la figure, rampant sur le sol gelé comme si leur survie en dépendait.

    - Et si on faisait comme eux ? C'est pas qu'on ne s'amuse pas, mais c'est pas de notre âge, mon frère. On va se faire buter si on reste là.

    Laissons les grandes personnes se taper dessus, et allons jouer ailleurs. On a déjà foutu un bordel monstrueux à cause d'une foutue tache visqueuse, pas la peine d'en rajouter.
    D'une aisance qui me fout la trouille, comme si j'avais désormais des talents d'équilibriste, je monte sur la table et saute sur celle d'à côté, trois mètres plus loin.
    Non mais t'as vu ça ?! Ouais je sais, tous les vampires savent faire ça. Mais bon, pour moi c'est une grande première !
    Je m'assure que Youri me suit, tout en parcourant les hauteurs du bar sans toucher la glace. C'est un nouveau jeu, le vampire perché. Je préfère ne pas me risquer sur la patinoire, surtout que l'Ancien au manteau cramé, en ayant terminé avec le pyromane, a visiblement décidé de nous considérer responsables de tout ça.

    Nous nous précipitons hors du bar, dans les ruelles, l'énervé aux trousses, quelque peu freiné par la foule qui s'écroule sur la glace. Et rapidement, nous gagnons le parking du coin.
    Une superbe décapotable attire immédiatement mon regard. J'avoue, les bagnoles c'est pas vraiment mon truc, en dehors de la musique je ne me suis intéressé à rien jusque-là. Mais je ne reste pas insensible à ce qui brille, celle-là se distingue des autres, et punaise, elle en jette ! La classe ! Et je n'ose même pas imaginer les sensations qu'elle procure...

    - Mazette ! Mate la bagnole, Youri !

    Pas le temps, je sais ! Une demi-seconde de contemplation, puis je me retourne vers une vieille Peugeot à la forme brute et à la peinture écaillée, la seule caisse que j'ai pu louer avec mon salaire d'ébéniste qui n'a pas encore augmenté suite à ma transformation. Vu son état, pas sûr qu'elle soit plus rapide que l'Ancien !
    J'ai pas mon permis, mais c'est pas grave. De toute façon, je n'ai pas le droit d'être encore sur Terre non plus, clandestin du monde des vivants, alors une infraction de plus ou de moins...

    - Allez viens, on se casse !
    _________________


    Youri Egonov


    Quand on était gosse, tout me semblait plus simple. Tout avait un sens ou du moins, je le pensais dans mon esprit d’enfant. Mon univers se résumait au noyau familial, surtout à toi, Mihaïl, d’ailleurs. Il fut un temps pas si lointain où c’était nous contre le reste du monde, tu t’en souviens, frangin ? Ensuite, tout a dérapé bien trop vite. Les liens qui paraissaient si solides se sont déchirés et tout est devenu beaucoup plus compliqué.

    Pourtant, je les aimais aussi nos petits frères, tu sais ? Seulement comme tu étais déjà leur modèle, que tu prenais tout en main, que tu étais leur père, j’ai juste essayé d’être à ta hauteur. Au moins pendant un temps, mais bien sûr, je me suis ramassé lamentablement. Ensuite, c’était bien plus facile de planquer ma détresse derrière le masque cynique de l’égoïste chronique que j’incarnais si bien.

    Mais on a une autre chance, maintenant, n’est-ce pas ? Bon, on est morts tous les deux, mais ce n’est qu’un détail technique, non ? On va pas se laisser arrêter par ce genre de conneries, non ? Les Frères Egonov sont bien au-dessus de ça.

    Ces derniers mois, je dois bien avouer que je n’ai pas tellement pensé à nos autres frangins, bien trop obsédé par cette foutue vengeance qui me calcinait les veines. Mais cette chaleur qui m’emplit tout entier quand tu me racontes ce que ces gamins sont devenus, ce n’est pas illusoire, n’est-ce pas ? J’ai juste encore un peu peur de ne pas être à la hauteur. Mais je crois que je vais te harceler jusqu’à ce qu’on puisse aller les voir. Je me pense assez fort pour affronter leur regard. Au moins avec ton aide. Tu ne me lâcheras pas, dis, Mihaïl ?

    Enfin pour le moment, je n’ai pas trop le temps de penser à ça, bien trop occupé à tenter de brosser dans le sens du poil l’Ancien qui s’énerve contre MON frangin !

    Autant pour moi, la politesse, je laisse tomber, place à l’action, de toutes façons, les Egonov n’ont jamais été doués niveau diplomatie ! Mais en général, on se tapait plutôt les uns sur les autres.

    Je suis très fier de ma patinoire de glace. Jusque-là, je n’ai jamais eu l’occasion de me servir de mon don comme ça, j’ignorais même être capable de produire autant de froid.

    La chûte de l’Ancêtre est vraiment comique et s’il avait un gramme d’humour dans sa cervelle de zombie, lui aussi se serait marré, non ? Mihaïl et moi, par contre, on ne se gêne pas pour ricaner. Bordel, ce que ça me fait du bien de te voir me sourire comme ça, Frangin ! J’en oublierais presque qu’on est juste des néo-nates pas très malins qui viennent d’exciter la colère d’un Vieux aigri et rabat-joie ! Et accessoirement, pyrokinésique. Bien sûr, avec notre chance légendaire, c’était obligé qu’il crache du feu, voyons !

    Et là, j’admets qu’en voyant ses grosses paluches s’enflammer, mon rire reste coincé dans ma gorge. Hey, j’ai 18 mois d’Eternité, moi ! Je veux pas cramer bêtement à cause d’une stupide bagarre de bar !

    Je reste paralysé comme un con mais Mihaïl assure comme un Dieu ! Au moment où l’Ancêtre s’apprête à nous brûler tous vifs, il se reçoit le verre de vodka en pleine face et il n’y a pas plus inflammable comme combustible. Hormis un vampire peut-être.

    Le Vieux panique, ses pieds s’emmêlent et ma patinoire fait son office, il s’écroule en n’oubliant pas d’entrainer un bon paquet de zombies avec lui. Il tente de se raccrocher au manteau d’un autre Ancien, enflammant le tissu du même coup.

    Ouais, bon, d’accord, je ne devrai pas, mais le fou-rire qui me menace déferle bientôt. Oh bon sang ! J’en pleurerai presque tellement je me marre !

    Tout le monde panique plus ou moins, le Vieux au manteau brûlé s’en débarrasse avant de se jeter sur le pyrokinésiste dans le but avoué de l’égorger. D’autres vampires se tapent allègrement dessus sans aucune grâce à cause de ma superbe patinoire. Les chûtes se multiplient et mon hilarité redouble à chaque fois.

    Dans la mêlée générale, les humains en profitent pour tenter d’atteindre la sortie, non sans glisser sur le sol gelé. Qu’à cela ne tienne, ils avancent ensuite sur les mains et les coudes. Un autre éclat de rire me secoue d’autant que pour le moment, nous sommes relativement épargnés par la tempête qui se déchaine dans le bar. On a crée un beau bordel en tout cas !

    Mihaïl donne le signal du départ et j’étouffe mes gloussements pour hocher la tête. Hop, il saute sur la table avant de s’élancer pour atterrir sur une autre. Il se retourne vers moi comme si c’était un miracle. Ouais, tu verras, on s’habitue très vite à ce que notre corps mort peut accomplir. Mais je partage cette jubilation, simplement pour une fois, c’est moi qui joue le plus ancien blasé. Marrant, non ? Je peux bien en profiter pour une fois.

    Je suis le même chemin, les deux frères Egonov sautant de table en table comme des cabris hystériques mais souples. Ho mais c’est que ça commence à devenir chaud pour nos miches là ! Le Vieux a tranché la tête de notre premier agresseur et c’est vers nous qu’il dirige son regard furibond. Bordel, quand je vous disais qu’on ne sait pas se faire des amis, nous les Egonov ! La poisse quoi !

    Nous atteignons rapidement la sortie et l’Ancêtre patine lamentablement au milieu des autres même s’il a l’air bien décidé à nous courir aux fesses.

    Je suis Mihaïl, de toute ma célérité et nous atteignons le parking pendant que je fouille dans mes poches à la recherche du bip de ma bagnole. Le regard de mon frangin s’attarde sur ma voiture et il m’appelle déjà pour que je me monte dans sa vieille caisse. Heu, c’est pas que je veux pas te faire plaisir Mihl, mais à mon humble avis, le Vieux n’aura même pas besoin d’une bicyclette pour nous courir au cul si on prend ta vieille tire.

    Je m’accorde un sourire malicieux, je sors le bip de ma poche et fais cligner les phares de la Dodge en disant :

    « Ah non, frangin, c’est moi qui conduit… »

    Je lui fais un clin d’œil en sautant derrière le volant de ma superbe Viper, bon d’accord, c’est de la frime et alors ? C’est de mon âge, non ? Et vue la vitesse qu’on peut atteindre avec ça, les zombies peuvent toujours s’accrocher.

    J’attends que mon frangin s’installe à mes cotés et je démarre, appréciant le vrombissement du puissant moteur. C’est génial d’être un zombie quelquefois ! Tu te souviens avant, on prenait toujours le bus !

    La voiture bondit en avant et l’abruti d’Ancien arrive à pleine vitesse à ce moment, il saute sur le capot ce con ! Comme dans les films !

    Sans cesser d’appuyer sur l’accélérateur et ne regardant absolument pas la route, je me dresse au-dessus du pare-brise de la décapotable pour lui gueuler tandis qu’il se cramponne avec un sourire d’abruti :

    « Fais gaffe à ma peinture, Ducon ! »

    Ben quoi c’est vrai, pour une fois que j’ai une vraie bagnole ! Je me rassoie en hâte, pour éviter qu’on ne s’encastre dans une vitrine et j’accélère encore alors que ce con de vampire entreprend de remonter lentement le capot en plantant ses griffes dans MA carosserie. Sale connard !

    Nous avons maintenant atteins une vitesse folle et je profite d’une superbe ligne droite pour gueuler à Mihaïl :

    « Attache-toi… »

    Je boucle ma ceinture sans ralentir, m’assure qu’il a fait de même et je souris au vampire du capot avant d’écraser la pédale de frein de toutes mes forces. La voiture part dans un splendide dérapage à peu près contrôlé, mais notre ami ne suit pas, tout zombie qu’il est et se retrouve projeté derrière nous. Un coup d’œil dans le rétro, il commence à se redresser alors j’enclenche la marche arrière et sans la moindre hésitation je lui passe dessus. Sans oublier de l’écraser une nouvelle fois en marche avant. Le temps qu’il se remette, on sera loin.

    Je balance un splendide sourire à Mihaïl et je lui lance :

    « On fait une sacrée équipe, non ? T’as assuré grave dans le bar… »

    Et je mets à rire de bon cœur, ravi de nous savoir encore vivant ( oui mort techniquement ) et ensemble.Quand mon rire se calme un peu je lui demande :

    « Alors où est-ce qu’on va ? Je peux t’amener où tu veux dans mon petit bijou… »

    Ben oui, je suis fier, je crâne un peu et alors ? Je pense qu’il ne m’en voudra pas pour ça…

    _________________

    Mihaïl Egonov



    - By Jove, la classe ! Non sans blague, elle est à toi ?!

    Ne me lassant pas de sourire, saisi d'une espèce d'incontrôlable sensation de bien-être, je prends encore une seconde pour admirer. L'Ancien ne va pas tarder à nous rattraper, je le sais, j'admirerai plus tard !
    Plus question de trainer, je saute à mon tour sur le siège sans même prendre le temps d'ouvrir la portière (vous pensez bien que si j'avais été encore vivant et empoté, j'aurais foiré ma cascade, pété mon nez contre le pare-brise et subi le ridicule de la situation).

    L'Ancien arrive enfin (question célérité, il a pas assuré, le bougre). Youri, on va se faire démonter !
    Je prends l'initiative de maintenir le volant lorsqu'il se lève pour gueuler. Manquerait plus qu'on se mange un mur et qu'on abîme sa belle bagnole. Mais dégage de là bordel, lâche-nous, vieille peau !
    Sur le conseil de Youri, je m'empresse de m'attacher, les pupilles plantées dans le regard rageur du vieux vampire qui tente de remonter jusqu'à nous. Mais il est taré ce mec !
    Mon torse part brusquement en avant, retenu par la ceinture. Je me cramponne à la portière, suivant la scène du regard.
    Arf, ça doit faire mal, ça, très très mal, même. Va falloir qu'on se fasse discrets en rentrant, Youri, il ne va pas nous oublier de si tôt celui-là...

    - Une sacrée équipe, c'est le mot. Mais je t'en prie, tu t'es bien défendu aussi ! On ne se débrouille pas trop mal dans les situations d'urgence...

    Et c'est rien de le dire. Aussi loin que je me souvienne, ces dernières années, on n'a pas été trop mauvais pour se sortir du pétrin... On aurait pu y rester de nombreuses fois, mais non.
    Un sourire aux lèvres (les crampes aux joues que je vais me payer ! J'ai pas l'habitude), je profite de l'air frais du soir, regardant défiler le décor à côté de nous. Petit à petit, les lumières de la ville se font plus rares, jusqu'à disparaître complètement.
    On sent à peine la route dans son bolide. Ca doit coûter une fortune, d'ailleurs...

    Tu te rappelles notre vieille Lada, en Russie ? Elle tombait en panne une fois par mois, c'était une ruine, et je me souviens encore de l'époque où toi et moi on s'engueulait en cherchant le moyen de la désembourber des cinquante centimètres de neige. Toi au volant, moi poussant derrière, des glaçons noirâtres projetés au visage par tes coups d'accélérateur désespérés. Elle ne supportait pas le froid, la portière avant droite ne fermait pas toujours, et Vova avait cassé l'un des rétroviseurs avec notre vieux ballon de foot. Un déchet ambulant, cette bagnole. On ne la gardait pas pour un aspect sentimental, mais bien parce qu'on n'avait rien d'autre, et que ça pouvait servir pour les situations d'urgence ou bien pour transporter quelque chose.
    Chaque jour, un nouveau bruit sous le capot. Le moteur diesel la faisait vibrer toute entière, c'est ce qui nous tenait éveillés à l'intérieur, à défaut de chauffage pour lutter contre l'engourdissement du froid. Plus pathétique, tu meurs !

    On ne la sortait qu'à de rares occasions. La plupart du temps, c'était bus, ou encore ou vélo, même si c'était gelé de partout.
    Et il nous arrivait de regarder passer les belles bagnoles dans la rue, tu te souviens ? On avait les cheveux pris dans la glace, les traits figés, les pieds dans la boue, et on maudissait ceux qui se trouvaient au volant. Pourquoi eux et pas nous ?

    Le monde nous semblait tellement injuste. Il a fallu qu'on crève pour comprendre qu'on pouvait être au-dessus de tout ça. Pourquoi se sent-on plus puissant en tant que vampire, même lorsqu'on est deux petits néonates comme nous ? Pourquoi gagne-t-on une telle confiance en nous en quelques mois, ou quelques jours ? Qu'est-ce qui fait que nous sommes plus forts, au-delà de nos dons à peine développés ?
    Et si cette puissance n'était qu'une illusion dont nous ne souhaiterions nous débarrasser pour rien au monde ?
    Nous ne sommes que des bébés, Youri. Nous devons recommencer toute la partie, mais les règles ne sont plus les mêmes...

    Une question me perturbe. Mais où est-ce qu'il a pu trouver le fric pour se payer un bijou pareil ?
    Me souvenant vaguement de ses activités douteuses en Sibérie, finalement, je préfère ne pas savoir. Oh et puis si. Mais non ! Ah mais si, au fond je ne pourrais rien lui reprocher même si je ne suis pas forcément d'accord. Bah ouais, j'ai tué plusieurs personnes après tout, donc je n'ai pas à le juger.
    Quand j'y pense, toi et moi, on n'est vraiment pas des anges.

    Je tourne le visage en sa direction. Où on va ? J'en ai une idée très précise.

    - Alekseevka, Sibérie ?

    Je ne devais pas m'y rendre avant quelques semaines, mais... Oh tu sais, ça me démange tellement. Et puis en voyageant avec toi, frangin, on ne s'ennuie pas ! Entre éviter les contrôles des flics, se planquer dans les camions et les trains pour se rendre discrètement en Angleterre, passer toutes les frontières avec une boule dans la gorge et finalement réussir à s'installer dans le sous-sol d'une usine de tri de poissons, on n'a pas le temps de voir défiler le paysage.
    Allez, chiche ? On y retourne ! Un bon petit voyage de nuit, avec tous les risques et avantages que notre situation comporte... Nous éloigner du royaume pour retrouver nos racines nous ferait du bien, non ?
    Je n'ai jamais été très à l'aise avec l'anglais, alors je me mets alors à lui parler en russe, tandis que la Viper fend la nuit en ronronnant.

    - Ils savent tout. Que tu es vampire, que tu es encore parmi nous. Je leur ai tout raconté, mis à part ma mort récente...

    Et là c'est comme si je revoyais toute notre histoire défiler devant mes yeux. Je ferme les paupières un instant et visualise tes mains pleines de sang sur mon tee-shirt, le type d'Interpol à l'usine qui pointait son flingue sur ma tête tandis que tu le tenais en joue également, son corps qui coule au fond de la Tamise, le tien qui s'écrase au sol, perforé d'une balle, puis encore une fois, la gorge béante cette fois-ci.
    La détresse de nos regards. Nos espoirs qui s'amenuisaient. Notre douleur grandissante jour après jour.
    Jusqu'à son apothéose en nos retrouvailles.

    J'ai mal au coeur. Troublé, sans pouvoir dire quelque chose, je laisse ma main serrer son épaule quelques secondes.
    Il ne sert plus à rien d'être désolés.
    A mon humble avis, ce voyage nous mènera bien plus loin qu'en Russie...


    Après un long moment, nous voilà arrêtés à une station service pour faire le plein. Tout autour de la structure éclairée par des néons, c'est la nuit noire, même si j'ai l'impression de détecter la moindre présence dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres. Un vent froid caresse les hautes herbes qui bordent la route et s'engouffre dans nos chevelures sombres.
    Au-delà du grondement de la pompe, je pourrais presque percevoir des sifflements, ci-et-là. Comme des appels, au loin... J'imagine que c'est mon imagination qui me joue des tours.
    Ou peut-être pas...
    Ce que seront mes pouvoirs, exactement ? J'en sais rien du tout.
    Mais depuis ma mort, j'ai l'impression d'être suivi, comme si une horde d'esprits invisibles s'accrochait à moi. Etrange, non ?
    Si auparavant je me sentais seul, aujourd'hui ça n'est plus le cas. Et puis il y a toujours ce sentiment d'être divisé en deux, entre celui que je fus et celui que je serai.
    La Mort nous transforme, parait-il. Je parlerai de tout ça à Youri...

    Légèrement appuyé sur la carrosserie, bras croisés sur la poitrine, je ferais bien le plein de mon essence favorite, moi aussi. Je lève le regard de temps à autre en direction de la caissière qui nous fixe inlassablement depuis sa cabine. Et là je me rends compte que je n'ai encore jamais considéré les humains comme un éventuel dîner.
    Ignorant ma Bête qui réclame à boire, je me tourne vers mon cadet... mon ainé, pardon.

    - Une petite faim ?

    C'est à peine si l'éventualité de lui faire mal m'a traversé l'esprit. Je crois que je commence à comprendre ce que tu peux ressentir quand tu as besoin de boire autant... Mais... Tu vois, j'en ai tellement sur la conscience, et je crois que je ne pourrais pas tuer quelqu'un, encore une fois... Je sais, ça fait partie des règles, notre survie nous l'impose, mais je pense que je suis encore trop humain.
    Dis-moi comment devenir vampire, grand frère...

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