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     21 - Kalinka.

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    Atticus

    Atticus

    Messages : 203
    Date d'inscription : 08/01/2011
    MessageSujet: 21 - Kalinka.   21 - Kalinka. EmptyVen 24 Fév - 23:17
      Mur... Un mur... Je touche un mur avec mes doigts. C'est bon, j'ai toujours cinq doigts. Ooh, et voilà les cinq autres, emmitoufflés dans une bande et soutenus par une atèle ! Je baisse les yeux et m'aperçois qu'il y en a dix de plus en bas. Rhoo, comme c'est bête, je suis parti sans mes chaussures... Oh là là ! Je ne peux retenir un rire débile. Légèrement euphorique ? Oui, peut-être bien. Mais pourtant... J'ai rien bu, je l'jure ! L'alcool ne me réussit pas. A chaque fois que je bois je fais une grosse connerie...

      Non, là, je n'ai absolument pas bu. Ou alors je ne me suis pas vu faire. Mais bon, ça m'étonnerait quand même ! Edwin est toujours là, près de moi, il me surveille... Il fait attention à ce que je ne fasse pas de folies dans mon état. Les médocs qu'on m'a filés pour ma main sont vraiment forts... Oh oui, je suis shouté, là. Je distingue à peine le décor autour de moi, et je ne me souviens plus comment j'ai atterri ici... Comment Edwin a-t-il pu me laisser sortir ? Je ne sais plus... Ah oui, je voulais prendre l'air, et je suis sorti de l'appart pendant qu'il était dans la douche. Mais quel con ! C'est malin, comment vais-je faire pour rentrer, maintenant ?

      Si ça se trouve... Je ne suis pas très loin de l'appartement, peut-être même juste à côté... J'en sais trop rien. Pas de porte violette à l'horizon.
      Je lâche enfin le mur et tente de tenir debout uniquement grâce à la stabilité de mes deux jambes. Je ne sais pas ce que je fiche ici. Il faut que je me force à me rappeler de certaines choses... Que je me concentre... Et peut-être que j'arriverais à retrouver le chemin de mon nid douillet, avant qu'Edwin ne sorte de la douche et ne s'inquiète de ma disparition. J'voudrais pas qu'il s'inquiète.

      Mes yeux se baissent une nouvelle fois vers ma main bandée. Alors... Comment est-ce arrivé, déjà ? Je n'ai pas mal, pour le moment, je suis drogué par les anti-douleurs... Rhoo, puissantes, ces pillules ! Bref. Si j'ai les doigts en miettes - oooh, mes précieux doigts ! - c'est parce que j'ai ouvert ma gueule. Ca, c'est comme la bibine, ça ne me réussit pas non plus ! A chaque fois que je parle, je m'attire la poisse. J'ai dit un truc qu'il ne fallait pas à un inconnu... Et il m'a brisé les doigts. Ah et puis, j'allais oublier un détail... Il était vampire, il a usé de ses pouvoirs sur Edwin et moi, et nous avons échangé de corps, comme par magie ! Oh, au début c'était comique... Très instructif. Et puis ça a mal tourné, j'ai voyagé dans les souvenirs d'Edwin... Une expérience traumatisante. Je ne la conseille à personne.

      Au bout de quelques heures, heureusement, nous avons récupéré nos corps respectifs... Je ne sais pas trop par quel miracle. Mais j'ai entendu dire hier que le type qui nous avait balancé son "sort" était mort. Serait-ce la raison de ce retour à la normale ? Je sais pas. Peut-être bien. Un coup de bol. Je vais arrêter de me poser des questions, ça me donne la migraine... Mon lit... Je veux mon lit. Edwiiiiiiin, viens me chercheeeeeer !! Heeelp... J'ai besoin de toi, mon alter ego, mon protecteur... J'ai toujours besoin de toi. Sans toi... J'me sens mal...

      Allez hop, un pied devant l'autre ! Ouaiiis, c'est bieeeen... Et puis on recommence... Jusqu'à ce qu'on trouve la porte violette. Si seulement je me souvenais par quel côté je suis venu... Foutus médocs. Je pige rien. Encore plus à côté de mes pompes que d'habitude... ça craint. Et si je tombe sur un psychopathe ? Ou même... n'importe qui ? Dans mon état, je ne peux pas me défendre, je ne sais même pas si je peux soutenir une conversation. Je tiens à peine debout.

      Je m'appuie à nouveau contre le mur... et me laisse glisser jusqu'au sol en position assise. Mes paupières se ferment doucement... et ne se relèvent plus.
      Plus tard, beaucoup plus tard, je me réveille en sursaut. Je suis étendu sur le sol. Le visage flou d'une femme au-dessus du mien. Elle passe sa main au-dessus de mes yeux pour me faire réagir, et me demande si je vais bien... Je ne saurais même pas dire si elle est humaine ou vampire.

      Elle m'aide à me redresser, et me propose de m'aider à me rendre quelque part. Je ne me souviens plus où je vis... Je ne sais plus... La porte violette, ça ne lui dit rien.
      Un courant d'air vient caresser mon visage. C'est frais... c'est tellement bon... Je lui demande de m'aider à sortir prendre l'air. Peut-être que je retrouverais mes esprits dans la fraîcheur de la nuit.

      Je me relève. Elle me soutient et m'aide à avancer dans le couloir. Au bout de quelques minutes qui me parraissent une éternité, nous arrivons enfin à l'air libre, dans un jardin. Je trouve un banc et m'y assieds. Il fait bon... Tout juste chaud, mais ça me fait le plus grand bien. Le brouillard épais qui a envahi mon cerveau s'efface petit à petit, et je me rends compte à quel point le coucher de soleil est magnifique. Il disperse ses rayons rose orangé sur les quelques nuages et disparait progressivement derrière les hauts arbres de la forêt.

      La femme me demande encore une fois si je sais qui je suis, pour qu'elle puisse aller chercher quelqu'un... C'est tellement rare ici de rencontrer des gens avec autant de bonnes intentions. Je me rappelle vaguement que je vis dans l'aile nord... Mihaïl Egonov. Propriété d'Edwin Vanelsin. Elle me dit qu'elle va le chercher, qu'il faut que je reste ici. Je la remercie. Elle me sourit et retourne à l'intérieur.

      Le décor s'éclaircit. J'ai de moins en moins de vertiges. Je me sens beaucoup mieux à l'air frais.
      Mes doigts... J'ai mal à nouveau. Tout ce que j'espère, c'est que je pourrais encore jouer... Si ça guérit mal, je pourrais toujours devenir gaucher. J'aime tellement le violoncelle que je suis prêt à changer de côté, même s'il me faut tout réapprendre.

      Je sors de ma poche, à l'aide ma main valide, une petite plaquette de médocs, et la fixe. J'en reprends ? J'en reprends pas ? Je peux enfin profiter d'un moment de lucidité. L'esprit brouillé, ou la douleur ? Hum, dur dur de choisir. Il s'est passé tellement de choses dans ma tête ces derniers temps... J'ai droit à un peu de répit, non ? Allez, j'en avale un. Il fera effet dans quelques minutes.

      Je m'allonge sur le banc et regarde défiler les nuages. Je ne pense plus à rien... c'est tellement rare. J'ai la tête complètement vide, mais ça ne durera pas. Mon esprit torturé et ma conscience reviendront au galop pour me pourrir l'existence. Oui, Consience ! J'ai enfin compris qui tu étais. Tu ne m'atteindras pas ce soir.
      Je te remplace par une chanson sur l'histoire d'une petite framboise.

      Kalinka et son rythme entêtant s'échappent de mes lèvres en un discret murmure, et je me retrouve en Sibérie.



    Edwin Vanelsin

      " And I don't know what to do... Cause I'll never be with you. "

      * Hum, Ed, le moment n'est pas idéalement choisi pour être mélancolique. Arrête de chanter, dépêche-toi de prendre ta douche et retourne à ses côtés. Dans son état, qui sait ce qu'il serait capable de faire ? Il a besoin de toi, va veiller sur lui, ne fais pas l'andouille. *

      " Ok, ok, je me tais alors. Mais ça fait des heures que je ne le lâche pas du regard, il faut bien que je me détente quelques minutes et que j'occupe mon esprit à autre chose. Après, faudra pas s'étonner si je fais une overdose et si je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à lui. "

      * Et cette manie de me parler tout seul, ça sort d'où ? Je crois que je suis resté un peu trop longtemps dans le corps de Mi'... Ca m'a complètement retourné le cerveau, et je suis certain que je vais conserver certaines de ses habitudes. Ah, c'est malin ! Espérons que ça le rende plus bavard au moins. Parce que moi, je cause trop, et bien suffisamment pour deux, alors je peux partager. Oh oui. Hum, bref... *

      Un claquement de porte suffit à le faire taire alors qu'il était occupé à s'essorer les cheveux. D'un bond, il se redressa, l'oreille aux aguets. Mihaïl ? Il n'était pas sorti tout de même, pas dans cet état ? Depuis qu'ils avaient retrouvé leur corps respectifs, on ne pouvait pas vraiment dire que le jeune russe était redevenu lui-même. Les médicaments semblaient avoir un drôle d'effet sur lui, et Edwin s'obligeait à ne pas le quitter d'une semelle (ce qui ne le dérangeait pas vraiment, pour être franc, il disposait à présent d'une excuse en or pour rester avec lui à plein temps).

      A moitié affolé, la chemise à demi-ouverte, il sortit de la salle de bain, sa serviette encore dans les mains, pour tomber nez à nez avec une jolie (aaaaaah, non, par pitié !) blonde qui le regarda avec de grands yeux ronds, avant de paraître subitement intéressée par le spectacle qu'il était en train de lui offrir.
      Ce fut d'une voix presque agressive qu'il lui adressa la parole, plus que mécontent de la trouver là, plantée au beau milieu de son salon, comme si elle était chez elle.

      " Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a, c'est quoi le problème ? Vous êtes chez moi, là... Et comment avez-vous réussi à entrer, d'abord ? Je ferme toujours ma porte à clé. Bon, vous dérangez un peu, comme vous pouvez le constater, alors vous voulez quoi ? "

      Elle le détailla encore un instant avant de se donner la peine de lui répondre, visiblement amusée d'avoir rencontré un tel personnage. Ah, génial, il aurait au moins fait quelque chose d'utile aujourd'hui : il aurait égayé la journée d'une humaine visiblement en manque cruel de distractions.
      Apparemment, la raison de sa présence en ces lieux était au sujet de... Mihaïl ? Oh, Mihaïl ! Mais où était-il passé encore, celui-là ? Prenant brusquement conscience de sa disparition, il se rua jusqu'à la chambre du jeune homme et alla même fouiller dans sa propre chambre (dans l'état où le russe était, il aurait parfaitement été capable d'y entrer, après tout, il ne semblait plus réellement en état de réfléchir).
      Cette fois, la panique l'avait gagné. Ce fut un Edwin affolé qui fit de nouveau apparition dans le salon et qui assaillit la blonde de questions, l'accusant à moitié de ce qui venait d'arriver, peut-être pour ne pas culpabiliser, une fois de plus. Il avait fugué, c'était certain, et c'était sa faute, encore une fois, parce qu'il n'avait pas su le comprendre. Ah, non ! Pas encore !

      " Merci. "

      Ce fut l'unique mot qu'il utilisa en guise de réponse, une fois qu'il avait obtenu les informations nécessaires pour retrouver son petit protégé. A en croire cette inconnue, il s'était endormi au beau milieu d'un couloir puis aurait demandé à être accompagné dehors, pour prendre l'air, et à présent, il était en train de l'attendre sur un banc. Pourvu qu'il y soit encore ! Il n'y avait plus une seconde à perdre, il fallait qu'il aille à sa rencontre, et vite. Et cette fois, il ne le lâcherait plus, quitte à l'enchaîner et à passer la nuit avec lui. Hors de question de le laisser se promener tout seul dans son état, il s'en voudrait à vie s'il venait à lui arriver quelque chose.

      La dame fut congédiée, la fenêtre ouverte. La fenêtre, oui... Ce serait plus rapide de passer par là, puisqu'il habitait à l'autre bout du manoir. S'il devait commencer à courir dans les couloirs, ce serait trop long, et Mihaïl aurait sûrement fait une mauvaise rencontre d'ici là, chanceux comme il était. La seconde suivante, il était debout sur le rebord de fenêtre, face au vent, sans manteau, sans chaussure, sans même avoir pris la peine de fermer tous les boutons de sa chemise. Il n'avait pas le temps... Il y avait d'autres choses beaucoup plus pressantes.
      Et c'est parti...
      Il lui fallut dix secondes pour se rendre compte que l'option qu'il avait choisi n'était sûrement pas la meilleure. Son premier saut exécuté, il glissa malencontreusement, comme c'était à prévoir, en tentant de se réceptionner à la gouttière qui lui échappa des mains, elle aussi. Dans un grand fracas, il s'étala sur un balcon, trois étages plus bas, légèrement sonné. Ce n'était pas possible d'être aussi peu doué, vraiment...

      Afin de limiter la casse, ce fut un félin roux qui atterit beaucoup plus délicatement au bas du bâtiment et qui s'élança à toute allure vers les jardins. C'était tout de suite plus gracieux à voir... Décidément, il faudrait qu'il songe à développer ses capacités de fils de la nuit, ça devenait primordial. Pour le peu que quelqu'un l'ait vu, c'était certain qu'il allait être la risée du royaume, une fois de plus. Non, vraiment, il fallait qu'il songe à enfin achever son éducation. Quelle tête tirerait donc Anouchavan lorsqu'il lui poserait la question ? C'était à tester... mais plus tard.

      A nouveau, ce furent ses pieds nus qui effleurèrent le sol alors qu'il courait toujours, guidé par son instinct d'immortel et par son odorat mieux développé qu'un humain quelconque. Il ne lui fallut pas longtemps avant de retrouver son petit protégé, aux côtés duquel il se précipita, au risque de s'écraser sur le banc, afin de s'assurer que tout allait bien pour lui. Par chance, il respirait encore... il fredonnait même ! Décidément, les médicaments avaient des effets étonnants.
      Rassuré, il s'assit sur le peu de place que le jeune homme lui laissait et posa la paume fraîche de sa main sur son front afin de vérifier sa température. Un peu chaud, peut-être... Et pourtant, tout comme lui, il n'avait pas pris la peine de se vestir entièrement.

      " Mil', tu es pieds nus ! Tu n'as pas froid ? "

      * Oui, moi aussi, certes... Mais moi, on s'en fiche ! Depuis hier, je ne peux plus avoir froid, et c'est bien dommage. J'étais tellement bien dans ton corps, mon petit Mil'. Enfin, jusqu'au moment où j'ai fini par en oublier ma propre identité. *

      Il ôta sa main, pleinement conscient que même si Mihaïl n'était pas dans son état normal, il n'apprécierait sûrement pas ce contact. Comme toujours, une envie folle de le prendre dans ses bras l'envahit, un désir presque irrésistible de le serrer contre lui et de l'embrasser... Mais comme il avait si bien appris à le faire, il sut se retenir, et se contenter de l'observer en souriant. Il était sain et sauf... c'était tout ce qui comptait.

      " Il faudra vraiment que tu m'apprennes à parler russe... J'en ai assez de ne pas comprendre ce que tu marmonnes. Et puis, quand j'étais dans ton corps, j'avais parfois des pensées russes qui venaient jusqu'à moi, et... je ne les comprenais pas toutes. C'est une si belle langue pourtant. Tu m'apprendras, Mil', pas vrai ? "

      * Y'a un bouton OFF quelque part ? Mets-la en veilleuse, tu veux, rien qu'une minute... Il en a rien à fouttre de ce que tu lui racontes, il est fatigué, il a besoin de repos. Et puis de toute façon, il n'est pas en état de retenir tes paroles, alors ferme-la, ça changera. *

      " Je sais bien que les médicaments te font du bien, mais... Evite d'en prendre de trop. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver, et je préfèrerais éviter le pire. "

      * T'as pas pu t'en empêcher, pas vrai ? T'es irrécupérable. *

      Bien évidemment qu'il n'avait pas pu s'en empêcher. On ne se refait pas, n'est-ce pas ?
      Pour continuer sur sa lancée, il ne put résister au besoin de laisser ses doigts s'aventurer sur le cou du jeune homme afin de remonter le col de son pull pour qu'il ne prenne pas froid. Papa poule jusqu'au bout des ongles, and forever...

      " Je ne savais pas que je t'étouffais à ce point... Tu aurais dû me dire que tu voulais sortir, je t'aurais accompagné. Tu voulais rester seul un moment peut-être ? Je suis désolé, je ne te lâche pas depuis hier, mais à cause des médicaments, j'ai peur que tu fasses une connerie. Mais je suis là, maintenant, et je ne te lâche plus. Plus jamais. "
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    Atticus

    Atticus

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    Date d'inscription : 08/01/2011
    MessageSujet: Re: 21 - Kalinka.   21 - Kalinka. EmptyVen 24 Fév - 23:21
      Rhaaa, cette chanson... Quand on commence à l'écouter, on ne s'en débarrasse plus. Je revois sans cesse le rire de mon père quand il me voyait danser maladroitement à côté de son piano, Alexeï âgé de deux ans dans mes bras. Le bar était désert à cette heure. Maman rangeait la salle. J'avais dix ans, et ce soir-là, aucun de mes deux parents ne pourrait être présent à la maison. Ils travailleraient tous deux très tard, et je devais veiller sur Alexeï et Youri... petit bout de chou de cinq ans... pas encore délinquant, dealer et meurtrier en cavale.
      Moi non plus, je n'avais pas encore de casier judiciaire. C'était la belle époque...

      Je m'égare. Ne pas penser à de mauvaises choses. Ne plus réfléchir... Oh tiens, un nuage en forme de Grand Schtroumpf !
      Non non, le médicament ne fait encore pas effet. Je suis dans un état d'esprit parfaitement normal, je n'ai pas d'hallucinations... Je t'jure, il ressemble au Grand Schtroumpf !
      Mais oui, c'est ça, et la marmotte dans le chocolat en alu...
      Bah regarde par toi-même, eh pauv'con !

      Ah ah, je lui ai rabattu son caquet, à celui-là. Ou comment s'auto-fermer sa gueule...
      Je dessine un sourire satisfait sur mes lèvres. Je suis bien... trop bien... C'est trop beau pour être vrai. Vas-y, la foudre, frappe-moi ! Je sais que tu n'attends que ça. Un malheur de plus ou de moins... A force d'avoir mal, je finis par en devenir accro. Maso, moi ? Naaaan...
      Même pas un petit accident de rien du tout ? Non... ? Ah ben ça alors... La roue tourne, on dirait.

      Le vieux banc en bois grince. Mon menton se soulève pour que mes yeux puissent voir de l'autre côté de ma tête. Edwin vient de s'asseoir près de moi.
      Non, vraiment, tout est parfait ce soir. Tant qu'il est là, près de moi, je me sens en sécurité... Il pose sa main froide sur mon front. Oui, M'Man, je vais bien ! Non, je n'ai pas froid. J'ai seulement mal à la main. Le Grand Schtroumpf a disparu du ciel, quel dommage...

      Kalinka, Kalinka, Kalinka maya... Flûte alors. Barre-toi, chanson débile !
      La demande d'Edwin me fait sourire. Je me redresse pour m'asseoir et me rends compte que mes vertiges reviennent. Je m'adosse contre le banc et, progressivement, finis par glisser le long du dossier pour reposer ma tête sur l'épaule d'Edwin. Dormir... Je veux mon lit, encore... Ces pillules me shoutent, j'ai sommeil tout le temps. Mais je dois rester éveillé encore un moment, je voudrais profiter des dernières couleurs du crépuscule... et de la compagnie d'Edwin.

      - Oui, je t'apprendrais, si tu veux. Et toi tu m'aideras à comprendre l'humour anglais, hein ?

      Bah oui... Les Monty Pythons c'est nul si on comprend pas l'humour britannique. Quand on les regarde, Edwin se marre tout seul... Ca a l'air vraiment comique... Mais je ne piges pas, alors je me contente de lui sourire, puis grogne en silence derrière mon bol de pop corns.
      Ce qu'on est bien, là, tous les deux... On s'entend réellement bien en ce moment. Et comme si on n'était pas encore assez proches, il a fallu que l'un devienne l'autre, et inversement... le temps de quelques heures.

      Maintenant, je sais ce qu'il peut être en train de penser, à de nombreuses occasions. Ce doit être la même chose de son côté. Nous n'avons quasiment plus de secrets l'un pour l'autre... Je pensais que j'en serais bien plus affecté que celà, mais visiblement, le fait que je n'ai plus de barrières ne me dérange pas tellement... J'ai confiance en lui. Plus qu'en moi-même. Je lui confierais ma vie, et c'est d'ailleurs déjà le cas.

      Mon regard se perd sur la plaquette de médocs que je tiens dans ma main valide. Puis mon attention se dirige sur l'autre, bandée avec soin, emmitoufflée comme dans un gant de boxe. Il n'y a plus qu'un bout de mon pouce qui dépasse. Ce lui qui me fait le plus souffrir est l'auriculaire. Je me vois déjà veux, avec mes rhumatismes, et mes douleurs dans cette main... Pourvu qu'elle guérisse bien. Je préfèrerais qu'on me coupe les jambes plutôt que de perdre le moindre de mes doigts.

      - Ne t'inquiète pas, va... Je prends juste ce qu'il faut.

      Je lui souris lorsqu'il remonte le col de mon pull.
      T'en fais trop, là, Ed... maîtrise-toi... Je suis dans les vapes, certes, mais je ne suis pas un enfant.

      - Je suis désolé, je ne savais plus trop ce que je faisais... Ca va déjà un peu mieux. Ca te dérangerait si on restait un peu ici ? L'air est agréable... Ce n'est pas du tout contre toi si je suis sorti. J'avais simplement besoin de m'aérer un peu.

      Je tourne la tête vers lui et plonge mes yeux dans les siens, un léger sourire aux lèvres. Moi non plus, je ne te lâche plus, Edwin. J'ai trouvé ma perle rare, je la garde.
      Un vent léger vient s'engouffrer dans nos cheveux, et chasser les feuilles mortes des petits graviers blancs sous nos pieds. Il y aurait une photo à faire... Si seulement on pouvait y voir Edwin.

      Ma vue se trouble de temps à autre. J'ai un peu de mal à distinguer les arbustes en face de nous. Mais je suis toujours lucide... et inévitablement, je me remets à penser.
      Je n'ai pas eu vraiment l'occasion de réfléchir à tout ce qui s'est passé hier. Tout est allé trop vite, je n'ai rien compris... Et puis j'ai commencé à prendre ces fichues pillules qui m'ont brouillé l'esprit. Je dois avoir un temps de retard sur Edwin... Comme je le connais, il a dû y penser beaucoup. C'est même probablement en train de le torturer. Qu'a-t-il donc retenu de cet échange ?

      Je ne sais même pas par où commencer... Il a pu apprendre tellement de choses, je ne voudrais pas parler de ce qu'il ne sait pas. Moins il en saura, et mieux nous nous porterons. Ma vie a été assez difficile à supporter tout seul... Je ne tiens pas à faire partager mes douleurs et mes remords. Conscience doit uniquement rester dans mon corps... Conscience est ma propriété. J'ai parfois du mal à l'admettre... Mais si je ne l'avais pas avec moi, Dieu sait que j'aurais fait bien plus de conneries. Si elle n'était pas aussi présente, j'aurais suivi bien plus sombre que le chemin de Youri.
      Edwin a dû la rencontrer... il n'a pas pu passer à côté.

      - Quand tu étais en moi... qu'est-ce que tu as vu, Ed ? J'ai besoin de savoir...




    Edwin Vanelsin

      * Qu'est-ce que tu essayes encore de faire ? Va doucement, tu pourrais te blesser... Tu as besoin d'aide ? Non, cette fois, je n'ouvrirai pas la bouche, je parle déjà de trop, et tu vas encore dire que je fais trop attention à toi, que je t'étouffe. Je le sais bien que je te couve... mais je ne peux pas m'en empêcher, j'ai si peur qu'il t'arrive quelque chose. Qu'est-ce que je ferais sans toi, hein, tu peux me le dire ? *

      Il le surveilla du coin de l'oeil tenter maladroitement de se redresser. C'était inévitable, il allait retomber ! Et pourtant, il ne fallait pas qu'Edwin se précipite pour le recueillir dans ses bras, non, il fallait qu'il cesse de l'enfermer dans ce cocon protecteur trop étouffant et qu'il le laisse voler de ses propres ailes. Il n'était plus un enfant, il venait de fêter ses trente ans... Et pourtant, il semblait plus mûr que lui, en s'opposant à cet amour qui n'apporterait que des complications.
      Edwin était sur le qui-vive, prêt à rattraper son protégé s'il venait à basculer d'un côté ou d'un autre. Ce qu'il ne tarda pas à faire... pour finir sa course sur l'épaule du vampire, qui ne put retenir un léger sursaut de surprise à ce contact, sursaut qui se transforma bien vite en un relâchement des muscles très illustratif de son état de bien-être. La tête de Mihaïl reposait sur son épaule... Quoi de plus agréable ? Cette soirée promettait d'être des plus merveilleuses. Simplement son protégé et lui, juste tous les deux, ensemble, côte à côte. Que demander de plus ? Edwin était aux anges.

      Presqu'en même temps que celles de son alter ego, ses lèvres s'étirèrent. Des cours de langue, ça oui, ils en avaient bien besoin tous les deux. Même si l'accent russe du jeune homme se perdait au fil des semaines, par moments, il demeurait interdit devant des paroles, le plus souvent ironiques, qu'il ne comprenait pas. Mais comment se moquer d'une telle absence de réaction devant cette langue qui n'était pas la sienne ? Son incompréhension était attendrissante, de même que ce semblant de sourire qui se dessinait lorsqu'il faisait semblant de comprendre les émissions ou les films anglais qu'ils regardaient ensemble. Mais lui-même était tout aussi pitoyable lorsqu'il s'essayait à prononcer quelques mots en russe. Rien que la façon dont il prononçait le prénom de son petit protégé n'était pas correcte. Lui, il la prononçait à l'anglaise, avec le fameux "h" aspiré. Ca avait paru déranger Mihaïl au début, mais à présent, il ne réagissait plus aux fautes de prononciation que son maître pouvait commettre. Au final, ils en riaient beaucoup, tous les deux...

      Calmement, il l'écoutait, soutenant son regard lorsque le jeune homme levait les yeux vers lui. Ses si beaux yeux bleus... Il les tenait de sa mère, il le savait à présent, et grâce à tout ce qu'ils venaient de vivre, il avait pu voir sa famille au complet, et bien plus encore, sans même parfois le souhaiter. Et comme c'était à prévoir, Mihaïl exigea bien vite de prendre connaissance de ce à quoi Edwin avait pu assister, lorsqu'il s'était retrouvé dans son corps et dans sa tête, par la même occasion.
      Il ferma les yeux, brusquement moins à l'aise. Durant ces quelques heures, il en avait tant appris, peut-être autant qu'après un an de vie commune. Mais il y avait des détails face auxquels il s'en voulait d'avoir pu accéder, tout simplement parce qu'il n'y avait pas droit, ce n'était pas sa vie, ce n'était pas son vécu, ce n'étaient pas ses peurs ni ses sentiments. Et pourtant, ce partage lui avait été imposé, sans qu'il le veuille, et même s'il pouvait en tirer beaucoup de bénéfice, il s'en voulait d'avoir pu fouiller dans les souvenirs de Mihaïl.

      Ses paupières se rouvrirent et son regard s'attarda sur la main bandée du jeune homme. Dire qu'à l'origine, tout ce qui était arrivé était sa faute... Mais devait-il s'en réjouir, ou au contraire, devait-il s'en sentir coupable ? Le moment n'était peut-être pas idéalement choisi pour se poser la question.

      " Ce que tu dois avoir mal... Si seulement j'avais su ne pas répliquer quand cet imbécile nous a provoqué, et quand il a insinué que toi et moi, nous étions tous les deux... enfin... ensemble, et... "

      Non, il ne fallait pas qu'il poursuive, il allait divaguer et se laisser de nouveau submerger par ce désir intenable de le prendre dans ses bras. Insupportable, mais pourtant si agréable. A présent, il parvenait à se contenter de son imagination pour se voir enlacer son protégé, sans même esquisser le moindre geste vers lui. Il y avait du progrès, non ? Oui, la plupart du temps... Mais ce soir, il sentait qu'il allait avoir toutes les peines du monde à se contenir aussi bien qu'il le faisait d'ordinaire.
      Ses yeux ne quittaient pas la main valide du jeune russe alors qu'il restait muet, s'en voulant silencieusement d'avoir évoqué implicitement cet amour qui n'existait pas, qui n'existerait jamais, et dont il souffrait toujours. Beaucoup moins, certes, à présent que son protégé était de plus en plus proche de lui, mais ce sentiment d'abandon et de déception persistait toujours, quelque part au fond de son coeur.
      Sa main tremblante s'approcha de celle qu'il fixait intensément pour la frôler du bout des doigts, presque imperceptiblement. Il n'irait pas plus loin, il ne voulait pas faire de mal au jeune homme, seulement... Parfois, le besoin était trop important pour qu'il parvienne à se contrôler entièrement. Après avoir effleuré sa semblable, si douce et si parfaite, sa main morte retourna se loger quelque part sur le bois du banc pour y demeurer immobile. En espérant que son humain ne se focaliserait pas sur cet épisode...
      A part ça... Mihaïl lui avait posé une question, non ? Alors il se devait d'y répondre. Après tout, le jeune homme avait bien le droit de savoir.

      " Ce que j'ai vu ? Beaucoup trop de choses en si peu de temps, beaucoup de choses que je n'aurais peut-être pas dû voir, et pourtant, elles m'aident à te comprendre, elles me permettent de savoir ce que tu as vécu, et pourquoi tu réagis de telle ou telle manière. Au final, peut-être que je n'ai pas à regretter d'avoir remballé comme il se doit cette armoire à glace qui s'était payée notre tête. "

      Il laissa un sourire naître sur ses lèvres et s'interrompit quelques secondes avant de poursuivre, et de révéler au jeune homme tout ce à quoi il avait accédé.

      " J'ai vu ta famille, j'ai assisté à l'enterrement de ta mère. J'ai su combien tu étais proche de tes frères, à quel point ils comptaient pour toi, et que tu prenais soin d'eux, quoi qu'il arrive. J'ai vu, ou plutôt je me suis vu agir à ce moment-là, sous tes traits, donner un coup de pelle à l'arrière de la tête d'un policier pour protéger Youri, malgré toutes les conneries qu'il avait pu faire. Ce frère que tu aimes et que tu détestes en même temps... J'ai vécu ta tentative de suicide, j'ai aperçu Lane au travers de tes yeux, j'ai voyagé en Russie, c'est un si beau pays... J'aimerais beaucoup y aller avec toi, un de ces jours, en Russie, qu'est-ce que tu en penses ? Ca m'a l'air merveilleux, ce froid que j'ai pu ressentir, cette neige, ces maisons... Je sais à quel point ça te manque, Mil', je l'ai ressenti. "

      Il s'interrompit de nouveau, réfléchissant à ce qu'il pourrait bien ajouter. Que dire de plus ? Il avait vu d'autres choses, mais il ne tenait pas forcèment à en parler. François, par exemple... Mieux valait ne pas l'évoquer. Après tout, ils avaient vécu la même chose, et Mihaïl devait se douter que son alter ego avait assisté à ce genre de scènes.

      " Et maintenant, je sais aussi à quel point tu m'aimes, combien tu tiens à moi, ce que je me refusais à voir jusque là. Je savais que tu m'appréciais, que tu me considérais comme un ami, comme un protecteur, mais... pas à ce point-là. Ca m'a fait chaud au coeur. Et puis il y a une dernière chose que tu dois savoir... Je l'ai vu. Oscar, c'est ainsi qu'elle s'appelle, je crois ? Je l'ai vu, mais seulement son visage. Par je ne sais quel miracle, j'ai réussi à y faire abstraction et à m'empêcher d'accéder à ces souvenirs. Je n'avais pas le droit de voir ça, c'est ton petit jardin à toi. Et j'ai réussi à m'empêcher d'en franchir la limite. "

      Il se perdit un court instant dans des souvenirs qu'il partageait à présent avec son alter ego, avant de reprendre.

      " Est-ce qu'il y a encore autre chose que tu voudrais savoir ? N'hésite pas à me le demander, quoi que ce soit. Cette expérience était tellement... incroyable. Effrayante, mais extraordinaire à la fois. Ca m'a fait tellement de bien d'être de nouveau vivant, tu ne peux pas savoir ! Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas respiré, tellement longtemps que je n'avais pas senti mon coeur battre dans ma poitrine, tellement longtemps que je n'avais pas pu savourer une simple tartine au beurre et à la confiture ! Merci, Mil', d'avoir partagé tout ça avec moi, de m'avoir permis de revivre, l'espace de quelques heures, même si dans le fond, tu n'y es pour rien. Et d'être dans mon corps, ça ne t'a pas paru trop bizarre j'espère ? Je suis certain qu'à cause de ça, tu es dégoûté du sang à vie, et de la froideur de ma peau aussi... "

      Sa voix mourut dans le fond de sa gorge et il quitta les prunelles de Mihaïl pour laisser son regard se promener dans le ciel. Si lui savait tout cela sur son protégé, alors la réciproque était sûrement vraie, elle aussi. Qu'avait-il donc appris sur lui ? Trop de vilaines choses sûrement... Même s'il n'en avait pas vécu autant que lui. Avec un âge plus de trois fois supérieur au sien, c'était pitoyable.

      " Mil'... Est-ce que tu sais tout ce que je ressens, maintenant ? Tout ce que j'éprouve pour toi, et aussi... Pour Zion ? Je... Je suis tellement désolé, Mihaïl. Si je me suis mis avec lui, c'était simplement pour t'oublier, mais jamais je n'ai réussi à l'aimer, et je n'y arrive toujours pas. Pourtant, Dieu sait que j'essaye, que je tente de me forcer à le faire, mais ça ne marche pas, ça ne se contrôle pas. J'ai tellement l'impression de me servir de lui, je m'en veux. Et pour mon oncle ? Tu sais aussi ? Tu as tout vu ? Je... "

      Il avait honte, une fois de plus. Il n'avait raconté à Mihaïl que les pires moments de sa vie et avait comme par hasard omis de lui parler de ces années merveilleuses, passées aux côtés de son oncle, à partager leur passion commune, et bien plus encore.
      Et pour Zion... Si son protégé n'avait pas déjà compris avant cela qu'Edwin ne faisait que semblant d'aimer quelqu'un d'autre, à présent c'était chose faite. Il ne pouvait plus rien lui cacher maintenant... Et il n'avait plus l'intention de le faire. Plus jamais.
      A son tour, sa tête tomba sur le côté pour aller choir sur celle de son alter ego, mêlant ainsi ses cheveux aux siens. C'était certain, il parlait trop. Il fallait qu'il apprenne à apprécier ces moments dans le silence, sans prononcer un seul mot, seulement à savourer la présence de celui qu'il aimait à ses côtés, le plus longtemps possible.
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    Atticus

    Atticus

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    MessageSujet: Re: 21 - Kalinka.   21 - Kalinka. EmptyVen 24 Fév - 23:28
      Son attention se porte sur ma main bandée.
      Oui, tout ce qui est arrivé est de ma faute, je le sais... C'est toujours de ma faute. Dès que je fais quelque chose, même si ça part d'une bonne intention, je finis toujours par le regretter. Et si encore les conséquences ne touchaient que moi... ça ne me dérangerait pas autant. Mais je t'entraine à chaque fois. Tu as répliqué comme il le fallait. Je suis l'unique responsable. Si seulement je n'étais pas si émotif et susceptible... j'aurais fermé ma gueule. Et tout ça ne serait jamais arrivé.

      En même temps... ça m'a permi de faire plus ample connaissance avec mon alter ego, ce qui n'est pas une mauvaise chose, au fond. Je ne sais pas trop... peut-être aurais-je préféré garder mon jardin secret, il est la seule chose qui soit vraiment à moi. Enfin bon ! Maintenant c'est trop tard, de toute façon... ça ne sert à rien de se poser mille questions inutiles. Mon esprit commence à se brouiller... Il faut que je tienne encore, que j'écoute Edwin.

      Je ferme les yeux un instant et me concentre sur chacun de ses mots. Il a eu connaissance des détails les plus marquants de mon existence. Chacun des évènements qu'il m'énumère me sautent à la figure comme des petits pétards. Je revisionne tout en flashs, en accéléré, comme si la touche "rembobiner" était coincée. Comment imaginer cette vie de l'extérieur ? J'ai beau l'entendre de sa bouche, je ne parviens pas vraiment à imaginer ce qu'il a pu ressentir.

      Ma mère... Ma tendre mère est toujours là, présente à mes côtés, elle fera toujours partie de moi. Mes frères... Ils comptent tout autant, il n'y a pas une journée où je ne pense pas à eux. J'aimerais tellement les revoir... Mais c'est impossible.

      - La Russie... non, ce n'est pas merveilleux. C'est joli, oui... Mais ce que tu n'as peut-être pas eu le temps de ressentir, c'est que les conditions dans lesquelles j'ai grandi n'ont pas été très agréables. Je ne garde que les bons souvenirs, et je tente d'effacer le reste... Mais la Sibérie n'est pas un endroit chaleureux et convivial. Du moins quand on est pauvre... Et puis... Je ne peux pas y retourner. Je suis recherché là-bas. Si je contacte ma famille, je la mettrais en danger. Il vaudrait mieux pour eux qu'ils m'oublient.

      Rien que d'y penser, j'ai un pincement au coeur. Je m'imagine souvent revenir à Novossibirsk et les serrer contre moi... Leurs petites têtes brunes contre la mienne. Mais les enfants que j'ai abandonnés ont certainement grandi, et leur haine pour celui qui avait juré de les protéger et n'a pas tenu sa promesse, leur haine pour ce salaud n'a dû faire que croître. Ils doivent me détester à présent.

      Il me parle ensuite de mes sentiments à son égard. Je n'aurais pu rêver meilleure occasion que cet échange pour les lui faire comprendre... Mon inexpression et mon silence n'ont fait que semer le doute en lui, et ça je n'ai pas eu besoin d'être dans son corps pour le comprendre. Mille fois j'ai tenté de lui dire tout ça, mais les mots ne sont jamais sortis. Tout comme les gestes, d'ailleurs...

      Lorsqu'il mentionne le nom d'Oscar, mes souvenirs reviennent inévitablement. Je la revois, je me souviens de nos rencontres, et malgré qu'il m'assure qu'il s'est efforcé de ne rien voir, je ne peux m'empêcher de me dire qu'il est impossible de faire abstraction d'une telle créature... Il suffit que je pense à elle un dizième de seconde, et je sens ses baisers glacés sur ma peau. Ca a dû lui faire mal de le sentir... J'en suis sûr. Mais je suis certain qu'il a tout fait pour combattre ces souvenirs. Je sais que je peux lui faire confiance.

      - Oui, elle s'appelle Oscar. Je ne l'ai pas rencontrée souvent... Mais je lui dois mon progrès en ce qui concerne le contact physique.

      Ouh là, Mimi, arrêtes-toi avant d'en dire plus. Il a déjà dû supporter ça, c'est pas la peine de remuer le couteau dans la plaie.
      Pour l'avoir appris dans son propre corps, je sais à quel point ça le touche quand je fréquente d'autres personnes que lui. Il a besoin de me posséder pour lui tout seul. J'avais un peu de mal à le comprendre avant cet échange, car je ne conçois pas de cette façon ma relation avec tous ceux que je rencontre... Je ne suis pas du tout possessif. Pour moi, les êtres humains n'appartiennent à personne...

      Bref, je ne vais pas m'égarer. Reconcentre-toi, tête de pioche ! Reste éveillé, on te cause !
      J'ouvre les yeux, sinon je vais m'endormir une nouvelle fois. Le décor est devenu très sombre, et le premier lampadaire se trouve assez loin. Je ne distingue que la blancheur de la peau d'Edwin dans le noir. Je l'écoute me dire ce qu'il a ressenti, et ne peux que le comprendre... Ca doit être bon de revivre.

      Finalement, je ne suis pas sûr d'avoir envie d'en savoir plus sur ce qu'il a vu. Ce qu'on ignore ne peut pas nous gêner, n'est-ce pas ? Je suis au courant pour les grandes lignes, ça me suffit. Je me remémorre ce que j'ai vécu dans le corps d'Edwin. C'est un peu flou, difficile à décrire...

      - Ben... Je ne sais pas trop... C'était étrange de ne plus respirer, de ne plus ressentir les envies naturelles comme la faim, la soif. Mais je m'y suis rapidement habitué. C'est tout ce brouhaha dans ta tête qui m'a le plus perturbé...

      Il s'inquiète de ce que j'ai pu voir, il commence à se crisper. Non, non, Edwin... Ne t'emballe pas... Calme-toi.
      Il déballe une explication éclair et s'embrouille. Profitant du fait qu'il se bloque soudainement dans sa tirade, je me lève pour mieux me rasseoir, repliant mes jambes sous mes fesses, lui faisant plus ou moins face... et le prends dans mes bras, pour le serrer fortement contre moi. Si je ne l'ai pas fait plus tôt, et bien plus souvent, c'est parce que je ne voulais pas lui donner de faux espoirs... et aussi parce qu'il m'est impossible de donner davantage d'affection. J'espère qu'il se rend compte à quel point ça m'est difficile de lui offrir un simple câlin...
      Suis-je bête... évidemment qu'il le sait, à présent.

      Ca me fait beaucoup de bien, aujourd'hui... Mais je sais que demain, ce sera différent. Pour le moment, un tel geste se doit de rester exceptionnel. Il pourrait s'y habituer, et plus il en demandera, plus il y aura de risques que je le repousse. Je commence à me connaître, à pouvoir anticiper mes réactions... sans pouvoir y changer quoi que ce soit. Je suis le pantin de mes peurs, et les ficelles qui me retiennent sont hors de tout contrôle.
      Mon menton sur son épaule, je me remets à lui parler, doucement, calmement. Hum ! Quelle bonne odeur de cannelle dans ses cheveux.

      - Je sais, Edwin... Je sais. Je suis tellement désolé de te faire vivre ça... Si seulement je pouvais y changer quelque chose... Mais je ne peux rien faire, et ça me fait mal au coeur. Pour Zion, j'avais compris depuis longtemps... Ton oncle, je ne le voyais pas vraiment de cette manière. Au fond... Je ne pense pas qu'il te voulait du mal. Et tu le sais... Ca fait mal quand on a l'impression d'être trahi. Je suis un peu mal placé pour le dire, mais... Avec du recul, je suis sûr que tu peux le percevoir d'une autre manière.

      Si j'étais à sa place, bien sûr que j'en voudrais à Anouchavan... Même en étant moi-même, je voudrais le tuer pour ce qu'il a fait à mon Edwin. Qu'il ramène sa fraise ici, et qu'il pose ne serait-ce qu'une nouvelle fois ses sales pattes sur mon vampire, et personne ne pourra m'empêcher de lui refaire le portrait.
      Mais en même temps... Je sais que cet homme ne fait pas soufffrir son neveu de façon consciente. Il a un sacré problème, il a besoin d'aide... Et je ne peux pas lui en vouloir pour ça.

      - Pour ce qui est de tes autres souvenirs... Tout est un peu flou, ces médocs m'empêchent de me souvenir vraiment, mais je crois que j'ai vu tes parents... J'ai lu la déception dans leurs yeux et ressenti ta douleur comme si j'y étais... Je suis désolé, pour le moment je ne suis pas en mesure de t'en dire plus.

      Ces fichues pillules m'assomment... mais chassent tout mauvais réflexe et me permettent de ne pas avoir peur de rester là, contre lui. Je me blottis contre Edwin.

      - Il y a des jours où je peux accepter l'affection. Ils sont rares... Profitons-en.

      Avec modération, toutefois...



    Edwin Vanelsin

      Pas merveilleux, la Russie ? Mais pourtant, ça lui avait semblé si attirant ! Toute cette neige, ce froid, ces paysages, ces grandes villes... Non, la grande ville, c'était Moscou, mais Mihaïl n'y était jamais allé, si ? Il ne savait plus... Peut-être était-ce lui-même qui avait déjà aperçu quelques photos de la partie européenne du pays, et non pas son alter ego. Il ne savait plus, il ne parvenait plus à différencier ses pensées de celles du jeune homme. Les conditions de vie de Mihaïl, il n'avait pas vraiment eu le temps de les explorer. Tout compte fait, peut-être aurait-il été préférable de passer plus de temps encore dans la peau de Mihaïl. Il restait encore tant de choses à comprendre, tant de choses à voir, tant de personnes à rencontrer par ses yeux. Mais en avait-il seulement le droit ? Tout cela ne lui appartenait pas et était emprisonné dans un corps qui ne lui appartenait pas non plus. L'être humain est libre, il n'appartient à rien ni personne. Cette notion, il venait de l'apprendre quelques heures auparavant, au cours de son voyage dans l'esprit de son alter ego.
      Eh bien... Si Mihaïl ne pouvait pas retourner en Russie à cause de ses problèmes familiaux, ce n'était pas bien grave, ils iraient ailleurs !

      " Tant pis alors... Je t'emmènerai à Londres, je ne sais pas si tu y es déjà allé, mais moi, j'ai besoin d'y retourner. C'est là où j'ai toujours vécu, je n'ai jamais vraiment voyagé, mais ça me manque terriblement. J'aimerais tellement y retourner, ne serait-ce que quelques jours, pour repasser devant ma maison et voir ce qu'elle est devenue, parcourir de nouveaux ces rues que je traversais tous les jours, quand j'y habitais encore. Tu viendras avec moi, Mihaïl, n'est-ce pas ? Il y a tant de choses à voir à Londres, tant de choses que j'aimerais te montrer. Et puis sortir d'ici quelques jours ne me ferait pas de mal, je pense. "

      Pas de mal, non, bien au contraire. Après cette expérience bouleversante, il avait pris conscience que son passé lui manquait malgré tout, même s'il n'avait jamais fait grand chose de sa vie, et qu'un petit retour dans sa ville natale lui ferait le plus grand bien. Et puis c'était l'occasion de raconter son histoire, aussi maigre et pitoyable soit-elle, à quelqu'un d'autre qu'à lui-même. Cela faisait déjà un moment qu'il y songeait et qu'il comptait bien s'arranger pour que ce projet devienne concret, que Mihaïl souhaite l'accompagner ou non.

      Malgré son état de semi-crispation, il sentait le corps de Mihaïl s'affaler de plus en plus, comme il se laissait glisser petit à petit dans l'inconscient. D'accord, alors il n'écoutait rien de ce qu'il était en train de lui raconter ? Etait-il si ennuyeux, ou étaient-ce les médicaments qui lui causaient cet effet ? Non, parce que si ce qu'il débitait n'était pas intéressant, il pouvait arrêter tout de suite. Après tout, le jeune homme ne serait pas la première personne à ne pas le considérer comme quelqu'un (ou même quelque chose) d'utile. Comme l'aurait dit (ou plutôt pensé) Mihaïl, le monde pouvait bien continuer de tourner sans lui, et Dieu sait qu'il le ferait très bien. Enfin... ce n'était pas le moment de penser à cela. C'était les médicaments, point barre.
      Les médicaments ? Quel remède fabuleux. Si seulement il ne risquait pas de frôler l'overdose et de provoquer la dépendance en agissant de la sorte, alors il aurait volontiers glissé quelques comprimets, discrètement, dans l'alimentation du jeune homme, pour le rendre aussi docile qu'il l'était en ce moment-même, et ce tous les jours.
      Lorsque Mihaïl se jeta dans ses bras, il ne put retenir un léger sursaut de surprise. Mais c'était jour de fête aujourd'hui ! Autant en profiter... il n'était que trop bien placé pour savoir que si le jeune russe faisait preuve de tant de tendresse aujourd'hui, alors il n'aurait droit à rien au cours des semaines à venir, voire des six prochains mois. Alors aujourd'hui, il en profiterait, coûte que coûte, puisque Mihaïl avait l'air bien disposé.
      Il n'attendit même pas que le jeune homme reprenne la parole pour entourer ses épaules et le serrer encore plus contre lui, collant sa joue glacée contre la sienne, si chaude, si vivante, si agréable. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir faire durer ce moment, aussi longtemps que cela lui serait nécessaire, et pour avoir droit à de telles attentions à chaque fois qu'il en aurait besoin. Mais il ne savait que trop bien que ce serait trop demander à Mihaïl de le prendre dans ses bras tous les jours, à présent qu'il avait connaissance de tout ce que son corps pouvait ressentir. Ce n'était pas grave, il ne lui en voulait pas... Quelque part, il était pareil, alors il ne pouvait que trop bien le comprendre. Il se contenterait de profiter de ce que le jeune russe lui offrirait aujourd'hui, sans en demander plus.

      Mihaïl lui racontait que cet amour non réciproque lui faisait mal, à lui aussi... Et Edwin le savait, il l'avait compris mieux que jamais lorsqu'il s'était retrouvé dans son corps. Il dut se retenir pour ne pas verser une larme et se contenta d'apprécier cette étreinte plus que chaleureuse. Tout ce dont il rêvait jour et nuit, et ce depuis des mois, à présent accessible, l'espace de quelques minutes. Finalement, le bonheur existait, et il était si rare qu'il en devenait exquis, si précieux qu'il était impossible d'envisager d'en laisser tomber une miette.
      Alors à présent, il savait, il savait tout, même si comme Edwin aurait dû s'en douter, il l'avait déjà compris depuis bien longtemps. Son semblant d'amour pour Zion n'avait pas été suffisamment réaliste, et c'était bien dommage, car malgré tous les efforts qu'il avait pu faire, il ne parvenait pas à chasser de l'esprit de son protégé cette notion d'amour non rendue. A présent il savait, il savait que Mihaïl était omnubilé par ce désir de lui rendre cette trop grande affection, mais qu'il n'y parvenait pas. Ce n'était pas sa faute... Comment aurait-il pu lui en vouloir ? Même s'il n'obtiendrait jamais ce qu'il désirait, ce n'était pas si grave, il se contenterait de la simple présence du jeune homme et de cette relation plus que fraternelle qui les unissait.

      " Tu n'as pas à t'en vouloir, Mil', tu sais très bien que ce n'est pas ta faute. Arrête de te croire responsable de tous les malheurs du monde, d'accord ? Je ne peux m'en prendre qu'à moi, et je le sais très bien. Tu en fais déjà suffisamment pour me rendre heureux, je sais bien que tu n'es pas capable de plus, et tu n'as pas besoin de te forcer, je suis heureux comme ça, tu sais. Même si je... "

      * Même si j'aimerais en avoir plus... Mais ça, tu le sais déjà, de toute façon. *

      " Ce serait trop beau de toute façon, si tu m'aimais aussi. Non ? La vie serait trop facile, trop bonne avec moi. Il faut bien avoir quelque chose à quoi s'accrocher, quelque chose à espérer, même si dans certains cas, nous savons pertinemment que ce que nous désirons est... irréalisable. Je sais bien que tu ne m'aimeras jamais, mais... je finirai bien par l'accepter, un jour. Ne t'en fais pas pour moi, je n'aime pas que tu te tourmentes à ce point pour moi. Qui sait, peut-être que tu ne me plairais pas autant si tu me faisais un câlin tous les jours... "

      * Hum, je vais m'arrêter là je crois, ce serait tellement dommage qu'il n'ose plus me toucher après avoir entendu ce que je suis en train de lui raconter. *

      Il le relâcha un peu pour le laisser se blottir contre lui une fois qu'il eut fini de lui raconter ce qu'il avait pu voir au cours de cet échange. Tout ce qu'il désirait en cet instant-même était que cette étreinte dure, dure... le plus longtemps possible... D'ailleurs, sûrement se serait-il laissé emporté par cette délicieuse sensation de bien-être et de légèreté qui l'envahissait si Mihaïl n'avait pas évoqué ses parents ainsi que leur déception, leurs mots blessants à l'égard de leur fils qu'il qualifiait de raté, qui, selon eux, ne parviendrait jamais à rien dans la vie. Et le pire était qu'ils ne s'étaient pas trompés...
      Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas pensé à eux. Etonnament, ils ne lui manquaient pas autant que son oncle n'avait pu le faire au cours de ces dernières années. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient été absents quand Edwin avait eu besoin d'eux ? Parce que, contrairement à Mihaïl, il n'avait jamais réellement bénéficié de ce qu'on pouvait appeler une famille aux moments où il aurait souhaité en avoir une ? Après cette expérience, il commençait lentement à prendre conscience de l'importance de ces liens fraternels et parentaux qu'il n'avait jamais réellement pris en considération. La seule personne de sa famille à laquelle il s'était réellement attaché était son oncle, et il était d'ailleurs la seule à subsister de nos jours.

      " Mes parents... Cela fait tellement longtemps que je ne les ai pas vu. En étant dans ton corps et en revoyant ta famille, je crois que j'ai pris conscience que j'ai souffert d'un manque terrible lorsque j'étais plus jeune, de cette famille dont l'on m'a privé, parce que je n'étais soit disant qu'un raté, un homme trop timide pour s'affirmer, qui ne s'intéresse pas aux femmes, qui ne fait rien de sa vie. Je... J'aimerais tellement les revoir, je crois bien qu'ils... qu'ils me manquent, malgré tout. Qu'ont-ils fait pendant toutes ces années où nous nous sommes ignorés ? Où sont-ils enterrés, à présent ? J'espère qu'ils sont encore à Londres, ainsi je pourrai passer les voir, même s'il est un peu tard à présent. Mil', j'aurais tellement aimé vivre ce que tu as vécu, même si la vie ne devait pas être facile tous les jours. Toi, tu avais tes frères, et tu les as toujours. Pourquoi ne tenterais-tu pas de trouver un moyen pour reprendre contact avec eux, et leur expliquer tout cela ? En étant ici, tu es couvert, et nous pourrions toujours nous arranger pour que tout ceci reste discret. Je sais bien pourquoi tu les évites, mais... Et s'ils avaient besoin de toi ? Tu leur manques sûrement, Mil'. "

      Avec délicatesse, il glissa ses doigts froids entre les siens, attentif à tout signe de malaise de la part de son alter ego.

      " Si je fais quelque chose qui ne te plaît pas, n'hésite pas à me repousser. "

      Son autre main se glissa à l'arrière de sa tête pour la maintenir si besoin était, mais aussi pour le serrer encore plus contre lui et sentir son petit coeur battre dans sa poitrine, tambourinant contre le sien, inerte et silencieux depuis bien trop longtemps.

      " J'aime tellement te sentir contre moi... J'ai l'impression de revivre au contact de ta peau tiède et frémissante, de ton souffle chaud et régulier. Et ton petit coeur qui bat dans ta poitrine, là... "

      Comme pour illustrer ses paroles, il relâcha sa tête pour venir poser sa main sur son palpitant et le sentir cogner contre sa cage thoracique.

      " Ce que c'est agréable de sentir que tu es encore en vie, toi... "

      Il resta un instant ainsi, immobile, à se focaliser uniquement sur ce battement régulier et cette respiration qu'il lui enviait tant et qu'il avait pu redécouvrir au cours de ces quelques heures.
      Cependant... A présent qu'il s'était promis de ne plus rien lui cacher, mieux valait lui révéler autre chose. Visiblement, il y avait peu de chance pour que le jeune homme l'aie aperçu au cours de cet échange puisqu'il ne l'avait pas mentionné. Ou peut-être l'avait-il oublié ? Non, ce genre de choses ne s'oublie pas...

      " Mihaïl, il faut que je t'avoue quelque chose à propos de mon oncle. Il est ici... Et son appartement n'est pas très loin du nôtre. Je ne sais pas si tu l'as vu pendant que tu étais en moi, mais je lui ai écrit, il n'y a pas si longtemps, pour lui demander des réponses. Des réponses à propos de ce qu'il a pu commettre par le passé, bien sûr... Et un soir, je l'ai trouvé là-bas, assis sur le rebord de la fontaine, tout comme tu l'étais quand je t'ai avoué que je t'aimais. Il est revenu... Et malgré tout ce qui a pu se passer entre lui et moi, j'ai bien l'intention de te le présenter, un de ces jours. C'est un homme formidable, si l'on ne considère pas toutes les atrocités dont il est à l'origine. Enfin, c'est plus facile à dire qu'à faire mais... Au final, je suis heureux qu'il soit là, avec moi. Depuis toutes ces années, il n'a pas cessé de m'aimer. Comment peut-on s'attacher à ce point à un être ? On ne s'était pas vu depuis soixante-cinq ans, et pourtant, ses sentiments sont toujours les mêmes à mon égard, c'est incroyable. Enfin... Je ne vais pas t'ennuyer avec tout cela, après tout cela ne te concerne pas. Pardonne-moi, je parle trop. "

      * C'est à force de me taire depuis toutes ces années... A présent que j'ai trouvé ma perle rare, je peux me confier, je peux poser des questions, exiger des réponses et essayer d'en savoir plus sur lui-même. C'est fou ce que je peux être bien avec toi, Mihaïl. C'est fou... Et je suis fou de t'aimer à ce point, car je sais bien qu'un jour tu finiras par disparaître, par vieillir pour commencer, pour ne plus jamais être le même. A présent, je crois que je comprends pourquoi mon oncle m'a tué. Il voulait "figer la beauté de mes trente ans", parce qu'il m'aimait à un point inimaginable. Dans le fond, nous nous ressemblons beaucoup, et j'ai l'impression de ressentir la même chose aujourd'hui. Je t'aime... Si seulement je pouvais te le dire sans te blesser. *

      Et pour le garder auprès de lui et continuer à le protéger jusqu'au dernier instant, il était prêt à tout, à toutes les concessions, à toutes les exigeances de Mihaïl. Tout.
      Le seul problème était que parfois, comme tout être vivant normalement constitué, il ne pouvait s'empêcher d'exiger silencieusement qu'il le remercie par ce dont il rêvait. Une simple étreinte, un simple baiser, trois fois rien... Ce n'était pas toujours facile de se contenter du peu d'attentions de la sorte que le jeune russe lui accordait.
      Mais aujourd'hui... Pourquoi n'essayerait-il pas ? L'unique baiser qu'ils avaient échangé et qui avait fait naître en lui tant d'espoir, il s'en souvenait toujours et se le remémorait chaque jour, chaque nuit. Un seul, en une année... C'était tellement peu. Mais que pouvait-il demander de plus ? Qu'avait-il le droit de demander de plus ? Rien, et il le savait. Mais ce soir, il allait tenter d'obtenir un peu plus, rien qu'une fois, un simple frôlement de lèvres, rien de plus...
      Délicatement, il saisit le visage de son protégé entre ses mains froides afin de le soulever et de le positionner face au sien, qu'il avait considérablement rapproché, le plus discrètement possible. Mihaïl était dans de bonnes conditions ce soir, non ? Alors il pourrait faire un effort pour l'embrasser, cette fois...
      Il ne le quittait plus des yeux. Le mystérieux violet interrogeait sans relâche le bleu profond et envoûtant auquel il ne pouvait pas résister bien longtemps. Le bleu avait gagné, comme toujours... Il avait su charmer son adversaire, une fois de plus.
      Presque imperceptiblement, Edwin se rapprochait, guettant ces lèvres attirantes qui lui avaient donné envie mainte et mainte fois ; et pourtant, à chacune d'entre elles, il avait su se retenir. Pas cette fois...
      Ou du moins pas jusqu'au moment où, alors que sa main s'était faufilée jusqu'à la nuque de Mihaïl, ses lèvres mortes se trouvaient toutes proches de celles tant désirées. Et là... Ce que Mihaïl appelait "conscience" arriva au grand galop pour lui asséner une gifle invisible et lui faire brusquement tourner la tête de l'autre côté, évitant le pire de justesse. Son regard honteux rencontra le sol un moment avant de se reporter aux iris de son protégé dont il craignait d'avance la réaction.

      " Pardon ! Je suis irrécupérable, et toi irrésistible. Colle-moi donc une baffe, ça me calmera, je le mérite. Allez, vas-y ! "
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    Atticus

    Atticus

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    MessageSujet: Re: 21 - Kalinka.   21 - Kalinka. EmptyVen 24 Fév - 23:34
      Londres... Londres... j'avais oublié. Comment ai-je pu oublier ?! J'ai été tellement obnubilé par ma haine pour François et Youri que j'en ai fini par oublier que j'ai vécu là-bas, peu de temps avant de m'exiler en France. Oh, pas longtemps, quelques semaines à peine... Ca aurait dû me marquer, comme tout le reste. Et pourtant je viens à peine de m'en rappeler. Après la disparition subite et incompréhensible de mon frère, suite à la mort de l'agent d'Interpol, je me suis dirigé vers la capitale britannique. J'ai erré dans ses bas fonds pendant des jours et des jours, peut-être même un mois ou deux je ne sais plus vraiment... J'ai vécu là-bas sans rien, comme un miséreux, je suis tombé malade... Puis j'ai rencontré Anna, qui m'a apporté son aide alors qu'elle ne me connaissait pas.
      Je crois qu'elle est l'une des rares personnes à s'être souciée de moi après mon départ de la Russie. Et je l'ai oubliée... comme si seuls les évènements tragiques comptaient pour moi.

      - Londres... oui, pourquoi pas.

      Une petite cure de bons souvenirs... Ca m'aidera à mieux digérer les mauvais. Je ne pense pas lui rendre visite, ce serait risqué pour elle, je ne voudrais pas fouttre sa vie en l'air alors qu'elle l'a probablement refaite. J'espère que personne n'a jamais su qu'elle a un jour aidé et hébergé un meurtrier en fuite. Mes premiers mots d'anglais, je les tiens d'elle. Je lui dois beaucoup. Et je l'ai oubliée... M'enfin, ça vaut certainement mieux pour elle qu'on ne se revoie pas.

      Ce voyage me permettrait d'en savoir plus sur Edwin... même si j'en sais déjà pas mal. Je n'ai pas vu grand chose de son passé, seulement quelques évènements marquants... Sa vie a été tellement longue. Et j'ai combattu ses souvenirs autant que possible pour ne pas m'immiscer dans ses secrets. Il vaut mieux qu'il me montre ce qu'il a envie de me montrer.
      Oui, Londres, c'est une bonne idée. Depuis un an que nous sommes ici tous les deux, nous n'avons jamais quitté Vampire's Kingdom... Prendre le large quelques temps nous fera du bien.

      J'ai beau me trouver dans les bras d'Edwin, j'ai l'impression de mettre une certaine distance entre nous... Je devrais apprécier, je lui fais confiance, et j'admire cet homme... Et pourtant je m'obstine à croire que quelque chose ne va pas. L'effet des médicaments s'estompe un peu, le temps de quelques minutes. Je ne me sens pas bien... Ce n'est pas à cause de lui ni de son affection, c'est juste de ma faute, comme d'habitude. Je le serre dans mes bras, mais j'ai le sentiment de ne plus être moi. Comme si je ne sentais pas la fraîcheur de son corps et son absence de pouls, comme si je voyais ce câlin en tant que spectateur, de l'extérieur, et d'un regard insensible.

      Mais il en a besoin, je le sais, et je vais me forcer. Je ne peux pas le repousser, pas l'abandonner, pas maintenant qu'il obtient ce qu'il désire de moi. Mais j'ai du mal à faire abstraction de ce réflexe qui me pousse à m'éloigner... voyons, si je ne bouge plus d'un poil, si je parviens à oublier ce contact, peut-être que ça me passera. Je t'aime beaucoup Edwin... Ce n'est pas contre toi, crois-moi. ne m'en demandes pas davantage, s'il te plaît, je me surpasse déjà pour te donner cela... J'ai envie de fuir, et j'ai beau me dire que ce sont tes bras autour de moi, tes doigts me brûlent quand même.
      Ca me fait mal. Je ne pense pas arriver un jour à ressentir la douceur des mains d'un homme.

      Il semble se contenter de ce simple câlin, du moins en apparence, et par ces mots qu'il m'adresse. Mais je sais que, bientôt, il en voudra plus. Chaque jour un peu plus. Je sais aussi que je ne suis pas en mesure de lui offrir plus. Comment être sûr d'une chose pareille ? J'en suis persuadé, c'est tout. Mon esprit le veut et l'accepte, petit à petit... Mais mon corps ne suit pas.
      Je me crispe et je lutte pour que cette proximité ne fasse pas l'effeet d'un ressort et ne repousse Edwin brutalement. Contrôle-toi, Mihaïl... Contrôle-toi. Prends un autre médoc !
      Non, j'ai pas le droit... Je deviens trop facilement dépendant.

      - Edwin... je ne sais franchement pas quoi en penser, je... J'aimerais tellement... Ce que j'épprouve pour toi dépasse de loin l'amitié, mais... le simple fait de penser que tu me veuilles contre toi met une barrière entre nous. Si je pouvais la briser... si je pouvais me libérer, je le ferais. Avec le temps, peut-être... Le temps nous l'avons, enfin t'en as un peu plus que moi... Mais aujourd'hui je sens que c'est encore trop tôt. Laisse-moi le temps... Peut-être qu'un jour je pourrais savourer ce genre de geste, sans me sentir aussi mal. Quand ? Ca, j'en sais rien du tout.

      Quand il parle de ses parents, ça me touche énormément. Les miens ont tellement compté pour moi, ça m'attriste de voir que les siens ont pu le traiter de la sorte. Mon pauvre Edwin... t'as pas été gâté par la vie. Si seulement je pouvais t'apporter un peu de bonheur... Je voudrais remplacer les parents que tu n'a pas eu, Ed, je voudrais être ton frère, ton âme-soeur... je voudrais pouvoir tout faire pour que tu oublies tes déceptions humaines. J'y parviendrais un jour. Je le souhaite profondément.

      Je m'apprête à le lui faire comprendre par quelques mots maladroits - pour changer... - lorsqu'il évoque mes frères et le fait que je puisse leur manquer. Une boule acide se forme dans ma gorge. Je sais, je sais qu'ils ont besoin de moi... Mais je ne veux pas leur faire de mal, ni leur attirer d'ennuis. Je continue à penser qu'il serait plus sage que je ne ressurgisse pas dans leur vie. Mais maintenant que tu m'offres la possibilité de les revoir un jour... je ne sais pas, il faut que j'y réfléchisse. Ca ne se fait pas sur un coup de tête.
      J'attends le déclic...

      Les doigts d'Edwin se glissent entre les miens, me rappelant subitement notre proximité. Je sursaute légèrement, mais finis par refermer mes doigts sur sa main, pour la serrer.
      Tu me demandes de te repousser si besoin... Mais comment pourrais te repousser sans te faire de mal ? Non, il faut que j'y arrives, que je me force à accepter ce contact. Allons bon, ce n'est pas si difficile que ça... J'y arrive avec certaines femmes, pourquoi pas avec toi ?

      Sa main se place derrière ma tête. Je me sens bien et mal à l'aise à la fois. Pourquoi est-ce que je n'aime pas ça ? C'est le plus beau geste du monde, et je peine à l'apprécier... Sa main froide sur mon coeur me donne un frisson. Ne plus y penser... Ne plus y penser. Si je n'aime pas ça, c'est peut-être bien parce qu'au fond tu me rappelles François, sans que je ne puisse m'en empêcher. Je l'ai aimé tout autant que toi... de la même manière... et il m'a trahi. Son amour étouffant et possessif l'a forcé à me séquestrer et à vouloir entièrement me contrôler. Je sais que tu n'en es pas capable... mais je me dis que tout peut arriver, que tu le veuilles ou non. Je te fais confiance, Edwin, plus qu'à ma propre personne... mais je préfèrerais mourir que de revivre une telle chose. Je ne veux pas que tu t'attaches à moi au point de nous briser tous les deux... Je ne connais que trop ce genre de situations, et toi aussi d'ailleurs. Une certaine distance nous est nécéssaire pour notre sécurité...

      Son oncle ? Non, je ne suis pas allé jusqu'au souvenir de sa venue... Mais s'il ose encore faire du mal à Edwin, il me trouvera sur son chemin, c'est certain.

      - Oui, présente-le-moi donc... J'aimerais bien cerner le personnage.

      Et surtout savoir si je peux t'en protéger. S'il ose te faire du mal... Je le lui rendrais au centuple. Et quand je veux protéger quelqu'un, je suis capable de n'importe quoi... J'ai déjà tué pour ça.
      Je me crispe rien qu'en y pensant, et j'espère qu'Edwin ne le sent pas. Je voudrais qu'il pense que je vais bien... mais le malaise m'envahit de secondes en secondes. Mes souvenirs, ce contact, les médicaments... tout remonte en moi d'un coup. Je vais finir par craquer.

      Je sens glisser ses doigts froids sur mon visage. Non, Ed... Ne fais pas ça. Ca me fait mal, et si tu brises cette barrière que je m'obstine à construire depuis quelques minutes, je risque de te faire souffrir à mon tour. Je croise son regard, et je sens qu'il a besoin de se laisser aller... De se libérer... Pour une fois, pourrais-je lui donner ce qu'il attend de moi ? Mais... et si... je... Non, ce n'est pas une bonne idée. Oui, je pourrais... une fois n'est pas coutume... Mais je ne veux pas lui donner de faux espoirs. Ca lui ferait mal que je lui en refuse d'autres, après en avoir obtenu un.
      Je ne supporte plus cette situation, cette proximité, et la simple idée d'un baiser. Je me sens mal, j'ai besoin d'air ! J'étouffe...

      Edwin... si seulement j'avais le droit...
      Nos visages sont proches, presque au point de se toucher. Puis soudain, il détourne la tête. Un léger soupir tremblant s'échappe de mes lèvres sans que je ne puisse le retenir. Je voudrais disparaître dans un trou de souris, là tout de suite...
      Une baffe ?... Mais il est malade ?!

      Oui, une baffe... Mais pas à lui. Ma main vient douloureusement claquer contre ma propre joue. Ca m'aide à me reprendre. Il n'y a qu'à moi que je dois m'en prendre... Je suis le seul et unique responsable de cette situation désastreuse. Tout est de ma faute et le sera toujours...

      - Non... Je peux plus... Pardon...

      Je me relève et m'éloigne un peu du banc, lui tournant le dos. Mon visage vient s'enfouir dans mes mains. Inspire... Expire... T'en fais des tonnes pour rien, bougre d'andouille. Pourquoi te poses-tu autant de questions à la con ?! Dis, tu pourrais pas être NORMAL, s'il te plaît ?!?
      Il me faut de l'air... Changer d'air... Londres ! C'est le seul mot qui me traverse l'esprit à l'instant. Je me retourne doucement vers Edwin, légèrement tremblant.

      - Et si on partait tout de suite ?



    Edwin Vanelsin

      Et le bleu profond et envoûtant, après avoir su charmer son acolyte, s'était empli de peur et de malaise, lui refusant le geste par un simple échange de regard. Comme cela aurait pu être facile à prévoir... Si seulement il avait réfléchi. Si seulement il n'avait pas agi en égoïste. Oui, il se retenait depuis des mois, c'était vrai, mais était-ce une raison ? Ce n'était pas en imposant ses envies qu'il parviendrait à quelque chose, et il le savait. Alors pourquoi ? Pourquoi avait-il éprouvé ce besoin vital de l'embrasser, tout en sachant à l'avance qu'il se verrait repoussé, d'une manière ou d'une autre ? Mihaïl n'était pas prêt de lui accorder ce à quoi il aspirait tant, et après une expérience au coeur du personnage, il aurait dû retenir la leçon. Mais ça n'avait pas suffit... En tout égoïste qu'il était, il avait naïvement cru que l'effet des médicaments suffisait pour plonger son protégé dans un état suffisamment flou, suffisamment léger, pour que ce dernier l'autorise à caresser sa peau et à le laisser goûter ses lèvres.
      Oui, il y avait cru... Il avait espéré que ce soir serait le moment idéal pour vivre au coeur même de la réalité tout ce qu'il pouvait voir en rêve.

      Ses prunelles violettes, honteuses, se plantèrent dans le sol et il demeura ainsi, immobile, sans même oser remuer les lèvres afin de se mordre la lèvre inférieure, comme il avait l'habitude de le faire lorsque le remord le rongeait. A quoi bon ? Le mal était fait, et il avait clairement aperçu le malaise dans les yeux de plus. Non, pas le malaise, plus que cela : la douleur. Physique, morale ? Les deux ? Assurément, il avait été au coeur même de tout ce chamboulement et à présent il savait parfaitement tout ce que Mihaïl avait pu ressentir à ce moment-là. Désir de faire plaisir à son alter ego, hantise de ce contact dont il avait une sainte horreur malgré lui. Une peur, inexplicable, insurmontable... Et une incapacité de lutter contre cette phobie. C'était tellement facile à deviner, à présent... Peut-être encore un peu complexe à comprendre, mais les informations dont il disposait lui suffisaient pour savoir que Mihaïl était tout simplement incapable d'offrir à Edwin ce dont il rêvait. Et pourtant... Dieu sait qu'il aurait tout donné pour qu'un simple (?) sentiment lui soit rendu. C'était la seule chose à laquelle il s'accrochait, cet amour qu'il n'avait encore jamais connu, trop fort pour lui et pour qu'il soit capable de le contenir, qui en finissait même par déborder et à étouffer l'être aimé. Mais y pouvait-il seulement quelque chose ? Il faisait tout son possible afin que tout se passe pour le mieux, seulement... Il avait un mal fou à dissimuler ses émotions et son visage le trahissait toujours. Mentir était inutile, il en était incapable. Alors même sans qu'une seule parole ne soit prononcée, Mihaïl pouvait aisément deviner cette tornade qui ravageait ce coeur immobile et silencieux, petit à petit. Tout ce qu'il fallait espérer, c'est qu'elle ne viendrait pas à l'émietter complètement un jour.

      Un froissement de tissu le fit reprendre conscience de la réalité, et il ferma les yeux, anticipant sur la gifle qui ne tarderait pas à venir. Il l'avait mérité... Et il en voulait une, il en réclamait une ! Ca le calmerait sûrement, du moins l'espérait-il. Pourquoi fallait-il qu'il soit désespéré au point de ne plus pouvoir se contenir et de profiter de l'état second de Mihaïl afin d'obtenir ce qu'il désirait ? Profiteur... C'était le mot qu'il se répétait mentalement en ce moment même pour se caractériser, attendant presque avec impatience que la main de son protégé ne le percute de plein fouet.

      * Allez, Mil', vas-y, frappe-moi. Ca ne me fera pas mal physiquement, seulement de l'intérieur. Ainsi, je prendrai peut-être conscience que tout cela te blesse et que tu ne peux le supporter. Mihaïl, frappe-moi, frappe-moi fort... *

      La main fendit l'air, il serra un peu plus les paupières et sentit malgré lui ses doigts se crisper sur l'une des lattes du banc. Le coup était parti, la gifle résonna, troubla le silence qui régnait en ces lieux, mais... aucune douleur ? Diable, était-il donc venu si résistant que cela ? Au point de ne pas ressentir la main de son petit Mihaïl sur sa joue, quelle que soit l'importance de la violence du geste ? Non, jamais il ne serait passé à côté d'un tel contact, jamais.
      Les yeux à présent grands ouverts, il tourna la tête en direction du jeune russe dont la joue rougie témoignait de l'acte qu'il venait de commettre.
      Mais pourquoi ? Pourquoi donc ?
      Comment pouvait-il s'en vouloir à ce point ?

      " Mil' ! Je t'avais demandé de me frapper ! Pourquoi t'as fait ça ? Tu n'es quand même pas en train de me faire comprendre que mes monologues interminables ne servent à rien ? Ce n'est pas de ta faute, Mihaïl ! J'ai des centaines d'hommes, et même de femmes, à ma disposition, et pourtant c'est toi que j'ai choisi, peut-être sans le désirer au début, certes. Comment peux-tu t'en vouloir à ce point ? J'ai fait le con, je l'assume plus ou moins, mais en aucun cas je ne t'autorise à te détruire à cause de ce sentiment que tu ne peux pas me rendre. Tu as compris ? Tu n'y es pour rien dans le fait que je... que je ressente cela pour toi. Alors arrête, Mil', arrête de t'en vouloir, c'est encore plus difficile à gérer ainsi. "

      Mihaïl finit par se relever et mettre de la distance entre eux. De nouveau, le regard d'Edwin percuta le sol et s'y enracina, bien décidé à ne plus déloger de là, trop honteux et trop blessé par ce rejet qu'il avait pourtant bien cherché. Sans même le regarder, il sentait le jeune homme blessé, profondément touché par ce geste inconscient qui avait été tenté quelques secondes auparavant. Même son dos, il n'osait pas le rencontrer, il n'osait pas le frôler de ses iris, il n'avait plus le droit, pas après ce qu'il venait de faire. Mihaïl ne se détruisait pas lui-même, c'était son protecteur qui le démolissait, jour après jour, à cause de cette faiblesse, de cette sensibilité trop importante pour quelqu'un de son espèce, de cet amour grandissant qui finirait par les écraser tous les deux. Et ni Zion ni même Anouchavan ne pourraient y changer quelque chose.

      La haine l'envahit de nouveau lentement, comme à chaque fois qu'il agissait mal envers son protégé. Haine envers lui-même, désir de s'auto-détruire, de s'infliger des souffrances physiques et morales pour se punir, même s'il savait pertinemment que cela ne le mènerait à rien. Ah, si seulement il était suffisamment courageux pour se laisser mourir sous les rayons du soleil ! Si seulement il n'était pas autant attaché à Mihaïl... Attaché, c'était même plus que cela, il était enchaîné à lui, et ce pour un long moment, peut-être même pour l'éternité, sans qu'il ne puisse rien y faire.
      Si encore, il avait été le seul à pouvoir tirer un bénéfice, ou au contraire une conséquence négative de cet amour, alors peut-être n'aurait-il pas eu des pensées si noires. Mais le problème était que malgré lui et malgré tous ses efforts, il y entraînait Mihaïl, un peu plus chaque jour, dans ce tourbillon infernal qui finirait par le détruire. Il était si fragile...

      Des pensées plus ou moins pessimistes s'entrechoquaient dans sa tête, et comme toujours, ses yeux n'étaient que le reflet de ce tumulte intérieur qu'il ne savait dissimuler. Heureusement que Mihaïl avait le dos tourné... Edwin se surprit même à prier inconsciemment pour qu'il demeure dans cette position un long moment, afin de ne pas être le témoin de ce qui allait se dérouler à quelques pas de lui. Non, il ne devait pas voir ça... Ca allait le blesser, une fois de plus, et il ne pourrait s'empêcher de se remettre en question, de culpabiliser.
      Eh bien... ce serait tant pis pour lui.
      Il n'entendit pas la phrase de Mihaïl, il ne l'aperçut pas se retourner. D'ailleurs, aurait-il bien pu raconter ce qu'il voulait qu'Edwin n'aurait pas réagi. Il avait déjà un trop grand combat à mener. Un combat contre lui-même... Duel entre deux idéologies qui s'opposaient. Le protecteur, le Edwin de toujours, le bienveillant, le papa poule, celui qui aime son petit Mihaïl plus que tout et qui est prêt à tout faire pour le rendre heureux, y compris toutes les concessions du monde. Et de l'autre, l'égoïste, le possessif, le jaloux, celui qui désire obtenir, coûte que coûte, et par n'importe quel moyen. Le fou... L'homme habité par une folie de dément qui n'a eu que très peu l'occasion de s'exprimer au grand jour. Mais ce soir, poussée par ce sentiment de colère, de rage et de rancoeur qu'il tentait pourtant de dissimuler, elle parviendrait à prendre le dessus sur l'homme doux qu'il était d'ordinaire. Ce soir... il apparaîtrait comme jamais il n'était apparu, et sans doute n'allait-il pas tarder à le regretter.

      Ses mains tremblantes étaient allées s'agripper quelque part, sous une latte de bois qui formait le banc sur lequel il était assis, et ses ongles n'avaient pas tardé à s'enfoncer dans le végétal, comme pour s'empêcher lui-même de bondir, s'emprisonnant lui-même.
      Overdose... Ne peut plus résister... Résignation totale... Pourquoi continuer de lutter ? Amour, amour non rendu, pourquoi ? Interrogation, exigeance. Volonté d'obtenir, coûte que coûte. Envie de se libérer... Mais pas de la même façon que toute à l'heure. Pas à l'aide d'un simple et ridicule baiser, non. Bien plus... Violence, sadisme, folie, hurlements, lequel l'emportera ? La bataille peut démarrer à présent, et l'homme est impuissant face à ses propres émotions dévastatrices, ce mélange de sentiments qu'il ne peut contenir.

      Ses genoux heurtèrent violemment le sol qu'il n'apercevait même plus. Il ne voyait rien, il n'entendait rien. Ou plutôt, il entendait tout... Toutes ces voix dans sa tête qui ne le quittaient pas et qui ne cessaient de crier, sans jamais s'arrêter.

      * Pourquoi ne le forces-tu pas ? Tu n'es qu'un faible, Edwin Vanelsin, un faible !
      Je ne peux pas le forcer, il a trop souffert, je n'ai pas le droit.
      Tu n'es qu'un petit homme... Sois fort, tu es immortel, membre de la race supérieure ! Tu pourrais le tuer d'un coup de dents, et tu te laisses intimider par un humain, un HUMAIN ! Tu peux obtenir ce que tu désires de lui, tu en as les moyens.
      Je ne veux pas... Je ne l'apprécierai pas si je l'obtiens par la force.
      Pauvre idiot que tu es ! Ta gentillesse te perdra. Saute-lui donc au visage, fais-lui comprendre qui est le maître, qui décide.
      Non... Je n'ai pas choisi d'être ce que je suis, je le considère comme mon égal, et même plus encore.
      Es-tu fou ? Saute-lui dessus te dis-je !
      Non...
      Lâche !
      Laisse-moi...
      Faible !
      Ce n'est pas vrai, je ne suis pas faible...
      Il le mérite ! Il ne fait rien pour toi, aucun effort ! Et toi alors ? A quoi passes-tu tes journées ? A te retenir, à te priver pour lui, pour son bonheur à lui. Il ne te rend rien, pas un geste, pas un regard. Fais-lui payer cette ignorance !
      Il en fait déjà beaucoup pour moi, tais-toi donc.
      Alors laisse-moi lui montrer, si tu es trop peureux pour le faire toi-même.
      Non ! Pas toi, tu vas lui faire du mal...
      Et alors ?
      Je ne veux pas...
      Alors tu vas te laisser écraser par Mihaïl, tout comme les autres t'écrasent déjà. Pitoyable.
      Tu mens, je suis assez fort pour riposter.
      Alors fais-lui comprendre, fais-lui comprendre que c'est toi qui domine et que sans toi, il serait mort. Laisse-moi t'aider.
      Qu'est-ce qui m'arrive... Est-ce que je deviens fou ?
      Non, tu évolues simplement, tu grandis.
      Tu vas te taire si j'essaye d'extérioriser tout ça, pas vrai ?
      Sûrement... Mais en es-tu seulement capable ? *

      Lentement, sa tête se releva vers son dit protégé qu'il considérait à présent tout autrement. Pour le moment, il était à quatre pattes devant lui, les genoux et les paumes de mains enfoncées dans le sol, ses prunelles scrutant le jeune russe avec beaucoup d'intérêt, mais un intérêt tout autre que celui qu'il avait pu lui porter au cours de l'année qui venait de s'écouler. Une étrange lueur de folie qui lui correspondait si peu brillait au fond de son regard. Pire que cela même, de la démence occupait à présent ses iris et déformait à elle seule tout son visage, d'ordinaire si tendre. La seule question qui subsistait dans son esprit était... Comment faire pour forcer le russe à changer ? Quelle méthode adopter ? Un sourire qui n'avait rien d'amical se dessina sur son visage alors qu'il scrutait le visage de Mihaïl sans réellement le voir. Ce que le jeune homme avait actuellement devant les yeux pouvait être comparé à un être... possédé, ou du moins en proie au commencement d'une phase ascendante, qui n'allait pas tarder à gravir les échelons de la folie.
      Pourquoi ? Seul un surplus d'émotions pouvaient expliquer cet élan maladif démentiel. Et encore...

      Il avait rampé au sol, s'appuyant sur ses coudes, sans quitter sa proie du regard. Si elle avait fui, si elle avait crié, si elle lui avait adressé la parole, il n'aurait su le dire. Tout ce dont il avait conscience, c'était de s'être accroché à ses chevilles et de les avoir maintenu de façon suffisamment ferme afin d'éviter toute tentative de fuite. Puis ses mains étaient remontées le long de ce corps tiède qu'il enviait tant pour mieux l'emprisonner contre le sien. Edwin se tenait dans son dos, les mains plaquées sur son torse, le bloquant ainsi dans une étreinte de laquelle il ne pouvait se défaire.
      Lorsque sa voix s'éleva, elle n'était en rien comparable à celle dont il usait habituellement. Le timbre était pourtant le même, mais les nuances utilisées si différentes. Plus aucune douceur, plus aucune gentillesse, non, seulement de la colère, de la colère et du désir, rien de plus. Rien de moins.

      " Mihaïl, dis-moi un peu... Pourquoi n'agirais-je pas comme tous mes semblables ? Pourquoi ne deviendrais-je pas méchant ? Je pourrais t'enfermer, comme l'a fait François, et te forcer à me donner tout ce que je désire. Qu'en penses-tu ? Ca te plairait ? Oh, non, sûrement pas, et tu tenterais de te balancer du toit à la première occasion, faible comme tu es. Je me trompe ? Pauvre petit chou... "

      Il le relâcha brusquement pour le contourner et se placer face à lui, à quelques pas à peine, un sourire difforme et effrayant accroché aux lèvres.

      * Aujourd'hui, Mihaïl, tu payeras. Tu payeras pour tout ce que tu ne m'as jamais donné, tout ce que tu m'as toujours refusé. *

      " REGARDE-MOI ! "

      S'il avait été conscient de ses actes et de ses paroles, sûrement aurait-il tremblé en s'entendant hurler et ordonner de la sorte. Mais qu'y pouvait-il ? Le vrai Edwin Vanelsin était mort, du moins pour l'instant, et ne semblait pas prêt à ressurgir de sitôt.

      " Regarde-moi ! Qu'est-ce que tu vois ? Si je te faisais subir un tel traitement, comment réagirais-tu ? Tu me tuerais ? Tu me tuerais, Mihaïl, n'est-ce pas ? Exactement comme tu as tué François ? Tu me tuerais de tes propres mains, pour m'empêcher de te faire souffrir davantage ? Oui, assurément, c'est ça que tu ferais ! Pour sauver ta peau d'égoïste, comme toujours ! Parce que c'est ce que tu es, Mihaïl, et je te l'ai déjà dit... Tu ne fais aucun effort, tes paroles sont si vides de sens, puisque tu ne fais rien pour les mettre en application ! Regarde-moi ! A côté de toi, même moi, je ne suis pas un monstre ! Regarde, regarde donc ! Vois comment je suis devenu, vois ce que tu m'as fait devenir ! A partir d'aujourd'hui, tout va changer. Cela fait trop longtemps que je suis gentil avec toi et que je traite comme un prince. Dorénavant... Tu auras beau me faire tes yeux de biche, tu ne m'empêcheras pas de te faire ce que j'ai envie de toi. Tu as compris, j'espère ? REPONDS-MOI ! "

      Un cri terrible s'échappa de sa poitrine et il se laissa tomber à genoux, abandonnant aussitôt ce rôle qui lui ressemblait si peu. Ses yeux avaient le plus grand mal à rester fixes et ne cessaient de papilloter dans tous les sens, comme s'il était en proie à une crise quelconque, mais terrifiante. Après un effort colossal et après s'être complètement affalé au sol, impuissant face à cette force inconnue qui le détruisait de l'intérieur, il releva son regard vers Mihaïl, distinguant tout juste l'expression de son visage tant ses yeux étaient embués de larmes. C'était fini, la folie était passée, et il le regrettait déjà, car il n'avait pas pensé un mot de ce qu'il venait de dire. Sa voix brusquement adoucie se refit maître des lieux alors que sa cage thoracique commençait à être secouée par de violents sanglots qu'il était incapable de contrôler.

      " Pardonne-moi... Pardonne-moi ! Ce n'est pas de ma faute, je ne voulais pas, je te le promets... "

      A cet instant précis, il se jugeait pitoyable et pathétique. Etendu au sol sans même tenter de se redresser avec le peu de dignité qui lui restait, son regard implorant planté dans celui de son protégé qu'il aimait tant, et qu'il aurait pourtant été capable de tuer s'il s'était laissé envahir encore plus par cette haine et cette rage qu'il ne se connaissait pas. La Bête... Etait-ce cela ? Etait-il condamné à changer dans les jours à venir pour peu à peu devenir l'homme qu'il avait été au cours de ces quelques minutes ? Non, c'était une crise passagère... N'est-ce pas ?
      Ses sanglots étaient tels qu'il se serait étouffé, si seulement il avait eu un souffle. Entre deux crises de larmes, il parvenait à articuler tant bien que mal quelques paroles, qu'il criait presque pour être certain de se faire entendre.

      " Mihaïl... Promets-moi... Jure-moi que tu m'aimes, jure-moi que je compte pour toi. Promets-moi... Que jamais tu ne m'abandonneras, que tu seras toujours là pour moi, quoi qu'il arrive, quoi que je devienne. Je crois... je crois que si tu m'aides pas, je vais finir par devenir fou. Regarde ce que j'ai fait... Et ce que je viens de te dire... Comment... Comment ai-je pu ? "

      Ses paupières se fermèrent, comme s'il était incapable de soutenir ce regard bleuté et innocent plus longtemps. Non, il n'était pas capable de rendre son protégé heureux, il était déjà incapable de se rendre heureux lui-même !

      " Seras-tu jamais capable d'aimer un homme comme moi ? Mil'... J'ai peur. J'ai peur de changer... Et si je devenais comme les autres ? Et si... Et si je devenais violent avec toi ? Et si je... Oh, Mil'. Je ne sais plus quoi faire, j'ai besoin de toi... "

      De nouveau, il laissa apparaître ses prunelles pour implorer silencieusement celles de Mihaïl, puis lui tendre une main tremblante, dans un élan de désespoir dont il n'avait même plus la force d'avoir honte.

      " Mihaïl... Tu es avec moi, n'est-ce pas ? Tu ne vas pas me laisser seul toi, comme ils l'ont tous fait ? Toi, tu vas m'aider, pas vrai ? A moins que... Tu ne m'abandonnes, toi aussi. Après tout, j'ai l'habitude. C'est peut-être pour ça que je ne suis pas comme eux. Parce que je ne les fréquente pas. Mihaïl... Je suis fou, ne fais plus attention à moi. Laisse-moi crever ici, j'ai peur de te rendre malheureux. Mihaïl... "
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    Atticus

    Atticus

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    Date d'inscription : 08/01/2011
    MessageSujet: Re: 21 - Kalinka.   21 - Kalinka. EmptyVen 24 Fév - 23:38
      Tes discours ne servent pas à rien... Je les entends, je les comprends, il m'arrive de les assimiler. Mais en ce qui concerne ma conscience, rien ni personne ne peut m'aider... J'ai tout essayé. Les mots ne suffisent plus, les actes non plus... Elle me ronge et me détruit de jour en jour, et si je me retiens de passer la corde autour de mon cou, c'est bien grâce à toi, Edwin.

      Je suis borné, je suis au courant. Complètement enfermé dans mon propre corps et insensible à toute la bonté du monde, car je suis persuadé de ne pas la mériter. Tes mots ne me touchent pas ce soir, ni depuis quelques temps d'ailleurs... Je me déteste tant. Et je n'y peux rien.

      Mes mains glissent le long de mes joues pour rejoindre le prolongement de mon corps. Mes yeux se ferment doucement. J'ai envie de crever. Je ne suis pas fait pour ce monde, trop faible, trop sensible... Oui, c'est facile, de dire ça. C'est facile de se persuader qu'on a la liberté de mourir. Le faire, c'est autre chose... Je peux l'assurer...
      J'en sais quelque chose.

      Mes chevilles sont subitement emprisonnées. Je manque de perdre l'équilibre. Mais qu'est-ce qui se passe ?! Je me retourne vivement, du moins je tourne la plus grande partie de mon corps pour jeter un oeil derrière moi, et aperçois une bête qui ne ressemble en rien à Edwin. Ed ! Qu'est-ce qui t'arrives, bordel ?! Je croise son regard et un frisson m'envahit. Il n'est plus l'homme tout et affectueux que j'ai toujours connu, il est... une autre personne. Même pas un homme, un homme ne regarde pas un autre homme avec une telle expression... Il est le prédateur, imposant dans la pénombre malgré sa présence à terre, et mon coeur bat la chamade comme si j'étais la proie sans défense.

      Terrifié, je le vois s'agripper à moi, jusqu'à m'emprisonner de ses bras. Mais qu'est-ce que tu fais ? Non, ne t'approches pas de moi !! Tu n'es plus le même, et j'accepterais encore moins un câlin de la part de ce nouvel individu qui m'est totalement inconnu !
      Fou... Il devient complètement fou...

      - Edwin, lâche-moi !

      S'il te plaît... Je ne voudrais pas être forcé de te faire du mal... Comment puis-je me défendre ?!
      Je tente de me libérer de son étreinte, désespérément, sans lui faire le moindre mal. COmment user de violence envers quelqu'un qu'on apprécie à ce point ? C'est au dessus de mes forces ! Mais quelque chose me dit que la douceur n'est pas ma meilleure armure contre sa folie subite...

      Sa voix, ses mots, son regard me poignardent en plein coeur. Il raconte n'importe quoi... Il ne le pense pas ! Non, il ne le pense pas !! C'est impossible... Pour avoir été dans son corps, je suis prêt à papier ma vie que ce n'est pas concevable. Tout ça, ce n'est pas lui... Loin de là. Notre échange l'a profondément perturbé, probablement beaucoup plus que moi, peut-être est-ce un effet secondaire ?

      Pourquoi est-ce que je me pose autant de questions inutiles ?! Il pète une durite, c'est tout !! Ca arrive à tout le monde... Comment le repousser ?
      Il me fait mal, beaucoup plus par ses mots que par son geste. Il ne peut pas dire de pareilles choses... Ne pas l'écouter... Ne pas l'écouter... Il a grillé un fusible, ça tourne pas rond, dans sa caboche !

      Il me relâche et s'éloigne. Je recule de quelques pas, pour mettre le plus de distance possible entre nous. Je sursaute quand il me demande de le regarder. Mais je ne fais que ça... Edwin, je m'inquiète profondément pour toi ! Arrêtes ça... S'il te plaît... Tu me fais vraiment peur.

      Il me déverse sa hargne. J'en ai l'habitude, ça fait des années qu'on s'acharne sur moi... Mais venant de lui, ça me touche. Même si j'essaye de me persuader qu'il n'en pense pas un mot, je ne peux m'empêcher de me dire que cette haine à mon égard vient de quelque part... Il n'a pas pu complètement l'inventer, elle vient du coeur, elle est bien enfouie, et ce soir elle a besoin d'exploser.

      Edwin s'écroule sur le sol et se laisse aller. Je n'ose remuer. Moi-même en état de choc, je ne peux que regarder, je ne suis pas capable d'exécuter le moindre geste. Poser ma main sur lui, après ce qui vient de se produire, n'est pas très approprié. Je dirais même fortement déconseillé. De toute façon, c'est hors de question... Je crois que je ne le laisserais plus jamais me toucher. Si c'est pour qu'il en devienne complètement barjo... ce sera une abstinence totale. Mon pauvre Edwin... je suis l'instrument de ta maladie et de ta guérison. Il faut que je cesse de me dire que je vais trouver une solution... Il faut que j'en trouve une, point barre ! On ne peut pas rester comme ça !!

      Mon crâne va exploser...
      Sa main se tend vers moi. Je pourrais la prendre, je pourrais le serrer contre moi... Lui dire que tout ira bien, que je suis là, que je ferais tout pour l'aider... Mais le fou qui l'habite a raison, mes paroles sont vides de sens, et pour une fois dans ma vie, au lieu de penser, je ferais mieux d'agir.


      Conscience... Conscience a disparu. Elle n'est plus là pour m'écraser. Soudainement, tout ce qu'Edwin vient de me dire dans son petit moment de folie me passe au-dessus de la tête. Quand c'est trop... c'est trop. Je craque. Conscience craque et se barre. Edwin craque et rampe par terre. Mimi craque et reste debout comme un con pendant que son alter ego prend un bain de cailloux dans le jardin.

      Mon regard ne quitte pas la forme indescriptible qui se tortille sur le sol. Tout sentiment, toute phobie, la moindre pensée, les médicaments, tout est évacué subitement, comme par enchantement. Je l'observe d'un air détaché, j'ai l'impression de ne plus être là... De ne plus être moi, simplement. Je me positionne à l'extérieur de mon corps, m'assieds tranquillement sur le banc, allonge les jambes, et savoure un thé glacé avec un immense saladier de pop corn entre les bras. The show must go on !

      Roulement de tambour. Second round. Mihaïl se penche, laisse tomber ses genoux dans les cailloux, de sa main non bandée chope Edwin par le col et le soulève comme s'il n'était qu'un épouvantail en paille renversé par une brise, le relâche et lui assène une terrible baffe dont le claquement s'est certainement entendu dans tout le royaume. T'en fiches, ça lui fait pas mal, il ne sent pas ce genre de douleur physique, c'est un mort !

      Ta gueule, toi ! Reste en dehors de ça. Je croyais que tu t'étais lâchement débinée ? BARRE-TOI, SALOPE !!!
      Je quitte du regard le banc où Conscience vient de s'effacer... visiblement vexée. T'aurais pu laisser les pop corn, sale rapia ! Que ça fait du bien de se contrôler. Edwin ne maîtrise plus rien, au contraire... Il ne s'est plus où il en est, il est complètement perdu, et je suis en mesure de remettre les choses en place. Pour la première fois depuis trente ans, à force d'épreuves douloureuses et de tortures personnelles, ma façade en béton s'est écroulée, en l'espace de quelque secondes.
      Libre, je me sens enfin libre ! Et... carrément dingue... Je suis un dingue.
      Je ne me reconnais pas. Mais ça me fait tellement de bien de ne plus être moi... Je rechopes Edwin par le col de sa chemise, ignorant la douleur de mes doigts cassés car il y a bien plus important en jeu qu'une douleur physique, là maintenant.

      - Vanelsin, tu vas te calmer, maintenant, c'est clair ?! Tu sais ce qu'il te dit, le monstre ? Oui, si tu oses abuser de moi, je te tuerais de mes propres mains, comme je sais si bien le faire ! Oui, je te tuerais ! C'est bien ça que tu veux entendre, non ?! Je te tuerais, et je me pendrais après, en faible que je suis ! Jamais je ne te laisserais me faire autant de mal que ce salaud, si jamais tu oses un seul instant penser à ressembler à tes stupides congénères, je te promets que tu recevras bien plus qu'une baffe ! La contrainte par la violence, c'est bien ce que tu comptais me faire subir pendant un instant, n'est-ce pas ? Eh bien c'est un prêté pour un rendu ! Si tu oses jouer à ce jeu-là, tu rencontreras plus fort que toi, je peux te l'assurer ! Demande donc à François !!

      Je reprends mon souffle un instant. Ma voix est complètement fusillée, je crois que je n'ai jamais hurlé aussi fort. J'ai mal à la gorge, certes, mais ça va beaucoup mieux dans ma tête.

      - Et maintenant c'est à l'autre pleurnichard que je cause... T'as pas intérêt à croire la moindre seconde de plus que je t'abandonnerais un jour ! Je t'aime à en crever, c'est pas encore rentré dans ta tête ?!? Parait que j'ai de la merde dans les yeux, mais toi c'est pas mieux, Edwin ! Maintenant, tu vas te reprendre, et plus vite que ça ! Tu vas te relever tout seul comme un grand, COMME UN HOMME, et reprendre le contrôle de ta personne, que ça te plaise ou non ! EST-CE QUE JE ME SUIS BIEN FAIT COMPRENDRE ?!

      J'espère avoir été clair... Et non, je ne regrette aucun de ces mots que je viens de prononcer. Ils font mal quand ils entrent par une oreille et ne ressortent jamais par l'autre. Mais ils sont indispensables. Ils fallaient qu'ils sortent un jour, il fallait que je brise mon éternel cocon et que j'oublie ma sainte horreur pour le contact physique afin de l'empoigner et de lui faire comprendre que nous avons tous les deux la possibilité d'être forts l'espace d'un instant, pour affronter nos malheurs et malaises... l'espace d'une crise de folie subite.

      Mais le courage et la robustesse, chez moi, jamais ne durent, et après l'explosion, la misérable larve revient recouvrir le fier insecte pour le dévorer. Je secoue le faible qui n'est pas homme, et je ne suis même pas capable de suivre ce que je dis... Il faut que l'un de nous deux puisse veiller sur l'autre... Un petit instant de faiblesse, rien qu'un, et je me dévoue, promis...
      Je me laisse glisser sur le sol, tombe sur l'épaule, dans les cailloux, et me recroqueville sur moi-même en position foetale... pour subitement me mettre à déverser toutes les larmes de mes pauvres corps et esprit torturés. Les débris de la bombe se sont reconstitués, elle s'est remise en marche pour une seconde détonation... dévastatrice.

      Tic tac tic tac tic tac tic tac...
      Boum.



    Edwin Vanelsin

      Et dire que tout avait basculé à cause d'une simple pulsion qu'il n'avait su retenir.

      Il n'avait pas le courage de lever son regard afin d'affronter celui de Mihaïl. Et même s'il l'avait voulu, il n'en aurait même pas eu la force. Même si ses sanglots s'étaient quelques peu estompées, sa poitrine restait secouée sans aucune régularité et avec une violence parfois effrayante. Même la honte ne l'atteignait pas, il n'en n'avait que faire d'être ridicule, et pire que cela même. Après tout, il en avait l'habitude ! Que Mihaïl rie donc, si ça lui chantait ! De toute façon, il ne pouvait pas tomber plus bas, les insultes et les moqueries ne l'atteindraient donc pas. Au moins, il avait cette chance et cette opportunité d'être confiant vis à vis de l'avenir : puisqu'il avait touché le fond, il ne pouvait plus s'enfoncer davantage, la seule possibilité était donc de remonter, n'est-ce pas ? A moins de stagner et de finir par parvenir à percer la couche épaisse et solide des bas-fonds afin de disparaître dans les méandres de l'inconnu, de là où on ne revient pas.
      Que de pensées profondes et spirituelles... Qui n'avaient absolumment pas leur place dans pareille situation.

      Tout, il mettait tout en oeuvre pour se calmer, et petit à petit, il crut atteindre un semblant de réussite. Battant régulièrement des paupières afin de nettoyer ses yeux comme l'auraient fait les essui-glaces d'une voiture, il parvint au bout de secondes qui lui semblèrent interminables à retrouver une vue que l'on pourrait qualifier de nette, plus ou moins. Sa main, elle était depuis bien longtemps retombée le long de son corps sans qu'il aie besoin de consulter Mihaïl du regard ; il sentait bien qu'il n'allait pas approcher, qu'il n'était pas prêt de l'aider, pas après la façon dont il venait de se comporter.
      Comme toujours, il avait tout gâcher. Et comme toujours encore, il n'allait pas tarder à le regretter.

      Ses iris suivirent un chemin invisible parmi la foule de cailloux présents jusqu'à rencontrer les jambes de son protégé, avant de remonter jusqu'à son visage, beaucoup plus dur qu'il ne l'aurait souhaité. Mais que pouvait-il espérer, après ce qu'il venait de faire ? Le jeune homme n'était pas suffisamment stupide pour se ruer dans ses bras après de telles paroles et de tels gestes. D'ailleurs, il prendrait sûrement un temps monstrueux avant de l'autoriser à le toucher de nouveau, et encore. Combien de temps lui faudrait-il avant de pouvoir lui faire ne serait-ce qu'une bise ? Une éternité... Alors que précédemment, Mihaïl lui avait promis qu'un jour, tout changerait ; qu'un jour, il serait capable d'accepter ces attentions et même de les lui rendre. Alors pourquoi avait-il fallu qu'il ne puisse pas se retenir ? Pourquoi avait-il fallu qu'il envoie tout en l'air ? Ca semblait être devenu une habitude chez lui, et comme à chaque fois qu'il détruisait et piétinait le moindre bourgeon de bonheur, il finissait par s'en vouloir.

      Le regard dur et déterminé de son protégé n'annonçait rien de bon. La vengeance n'était pas loin, et il la pressentait tout comme le chat pressent l'arrivée de la tempête. Et encore, tempête serait un mot trop délicat pour définir ce qu'il allait devoir se préparer à affronter. Etait-il seulement capable d'encaisser tout cela ? Il l'avait cherché... Mais il aurait tant aimé que Mihaïl fasse une croix sur cet évènement, n'entende pas ces paroles qu'il n'avait pas voulu prononcé. A cause de quelques minutes de folie, ce serait plusieurs mois qui seraient gâchés. Que la vie était dure et injuste...
      Il s'avança, effaçant la maigre distance qui les séparait. Et pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Edwin craignait cette approche et était terrifié à l'idée de le voir franchir son périmètre de sécurité. Il allait mal réagir, très mal, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu'il n'allait pas tarder à lui faire regretter ses paroles inacceptables. Et même si Edwin implorait son pardon, il ne fallait pas qu'il aie pitié de lui. Il ne le méritait pas.
      Durant cette approche, plus aucune larme n'avait barbouillé son visage. Il avait réussi à se calmer et se contentait de le surveiller s'avancer, pour finir à genoux auprès de lui. Son regard imposait le silence, sa démarche avait très clairement illustré qu'il ne ferait preuve d'aucune pitié, d'aucune compassion. Et que ses paroles seraient tout sauf douces...

      Les évènements qui en découlèrent n'étaient que la suite logique de ce changement radical de comportement. La gifle retentit, cuisante, percuta violemment sa joue, et la douleur infligée par ce geste était bien plus que physique. Ce que Mihaïl venait d'imprimer sur sa peau était bien plus qu'une marque rouge et n'était pas prête de s'effacer de sitôt. Une nouvelle larme, unique, perla sur sa joue alors que la partie non atteinte de son visage s'écorcha sur le sol. Mais il l'avait mérité, alors il n'avait pas le droit de riposter. Ce serait trop beau si Mihaïl avait su éprouver de la compassion et de la gentillesse à ce moment-là. Qu'il se déchaîne donc, ça lui ferait le plus grand bien.
      De nouveau, il se faisait empoigner avec une force qu'il ne lui connaissait pas. Décidé à ne plus se montrer lâche, il s'efforça de soutenir ce regard bleuté devenu si dur, si froid, une barrière glacée qui l'empêchait de puiser dans ces iris qu'il aimait tant et qui à présent l'effrayaient. C'était un Edwin terrifié et paralysé qui tentait tant bien que mal d'encaisser les paroles tranchantes et douloureuses de son alter ego.

      Mihaïl était méconnaissable... Sûrement tout comme lui-même l'avait été quelques minutes auparavant. Avait-il été si effrayant ? Le jeune homme lui paraissait si franc, si sûr de lui, lui qui était d'ordinaire si renfermé et qui prononçait tout juste quelques mots en une journée.
      Sans tenter de se défendre, il le laissa à son tour déverser toute sa haine, retenant ses larmes et s'efforçant de le regarder dans les yeux, sans jamais dévier de cet objectif. Cette rage leur permettrait-elle de mieux se comprendre encore ? Mais pourtant, tout était bien avant ! Ils s'entendaient à merveille, comme jamais encore ils ne l'avaient fait. Alors POURQUOI avait-il fallu qu'il s'approche de lui pour luidemander un baiser qu'il savait d'avance refusé ? Pourquoi avait-il fallu qu'il soit incapable de se contrôler, comme il le faisait d'ordinaire ? Ce qu'il pouvait se détester, par moments ! Et pourtant, il avait beau se forcer, faire des efforts, il fallait toujours qu'à un moment ou à un autre, il ne finisse par déraper.
      La seule question qui subsistait était... Etait-ce réellement la peine de subir un tel châtiment, seulement pour quelques minutes de folie ? Il n'obtiendrait sûrement jamais la réponse, et il lui faudrait se contenter des hurlements de Mihaïl qu'il n'était pas prêt d'oublier et qui allaient, comme bon nombre d'autres évènements, rester gravés dans sa mémoire pour un long moment, peut-être à jamais.

      Le coup asséné, son protégé tomba à son tour, tout aussi bien au sol que dans un mutisme parfait. Parfait, ou presque... A son tour, il se mit à sangloter, il n'était pas non plus capable d'assumer le rôle de l'homme fort et dur plus longtemps. Edwin était retombé au sol et ne faisait pour le moment aucun effort pour se redresser. Plus aucun de ses muscles ne remuait, ses yeux même étaient fixes, il repensait à tout ce que Mihaïl venait de lui cracher au visage avec une violence sans pareille. Il était capable de le tuer, alors ? Mon Dieu, mais qu'avait-il fait pour qu'il soit capable de lui répondre de la sorte...
      Et pourtant, malgré ses paroles à l'impact considérablement douloureux, il lui avait assuré qu'il l'aimait... Drôle de déclaration d'amour, et pourtant, elle n'en était que plus forte, plus véridique, plus franche. Il ne savait pas encore comment réagir face à tout cela, alors il se laissait giser au sol, impuissant, se concentrant sur les sanglots de Mihaïl, presque heureux de le voir si triste tout d'un coup, parce qu'au moins, il s'était calmé, il était redevenu lui-même.

      Lentement, il se redressa, s'appuyant sur ses paumes de main, comme Mihaïl le lui avait demandé. Debout, comme un homme. Très bien. Après tout, cela ne devrait pas être si difficile que cela, et le jeune homme avait bien raison. Il s'était conduit comme un faible, comme un pleurnichard, pour reprendre ses mots, et il avait bien fait de lui avoir parlé ainsi. Ses paroles si crues allaient rester très longtemps gravées dans sa mémoire et avait marqué l'esprit d'Edwin, l'avait même dissuader de ne plus jamais poser sa main sur son protégé.
      Un long moment, il resta silencieux, l'observant simplement du dessus sans même poser sa main sur son épaule pour le réconforter, sans même un mot doux à son égard. Fini la douceur, le temps de la tendresse était terminé, il était temps de passer à autre chose. Du moins l'espace d'une soirée, histoire de remettre les pendules à l'heure.

      " Tu n'auras pas besoin de me tuer... Je ne te toucherai plus jamais sans ton accord, je t'en fais la promesse. Si c'est pour avoir à te faire subir des paroles monstrueuses et pour en recevoir de semblables en pleine face, je préfère m'éloigner de toi pour ne pas te faire souffrir. Ca ne servirait à rien de te dire que je suis désolé, au point où nous en sommes. Je suis simplement légèrement... déçu. Déçu de m'en être pris plein la gueule, malgré tout, alors que je fais des efforts depuis plusieurs mois, et que j'ai l'impression que tu ne vois que les rares moments où je dérape. Mais... "

      Il s'agenouilla finalement à ses côtés, incapable de demeurer dans une position qui le faisait passer pour supérieur.

      " Tu as bien fait de me parler ainsi. Cependant, assume tes paroles. Regarde-toi, Mihaïl, tu ne vaux pas mieux que moi. Ne me fais pas croire ça... Tu es plus fort que moi, je le sais. Tu me dis de me comporter comme un homme, de me tenir debout, mais regarde-toi. Lève-toi, Mihaïl, comme moi je l'ai fait. Car si je dois avancer, je ne le ferai qu'avec toi, pas tout seul. Tu as dit que tu ne m'abandonnerais jamais, n'est-ce pas ? Eh bien moi non plus je n'ai pas l'intention de t'abandonner. Quoi qu'il arrive, quoi que tu deviennes, peu importe ce que tu fasses, je serai là, que tu le veuilles ou non. Debout, maintenant. Relève-toi, que ce soit pour me faire face ou pour marcher à mes côtés, mais ne reste pas au sol. Ce ne sont que les faibles qui rampent et qui se déplacent au ras des cailloux. Prouve-moi que tu ne l'es pas, et redresse-toi. "

      Comme pour l'inciter à remuer, il se remit debout le premier et fit quelques pas pour s'éloigner de lui. De toute façon, ce serait sûrement la première chose que le jeune homme ferait une fois redressé lui aussi, alors autant anticiper pour ne pas le voir s'éloigner de lui. Pour la première fois depuis que la gifle avait été donnée, il porta sa main à sa joue endolorie pour l'effleurer de ses doigts froids. Son regard rencontra le sol un instant avant de se reporter à son alter ego.

      " Quoi que tu fasses à présent... Que tu aies l'intention de me frapper, de te taire pendant des semaines, de redevenir toi-même ou de tout simplement m'ignorer, promets-moi une chose. Ne me gifle plus jamais comme tu l'as fait... Sauf si je le mérite. Tu ne peux pas savoir à quel point ça m'a fait mal. Même si ça m'a aidé à réagir, je ne veux plus, c'est trop dur à encaisser. Je sais bien que je l'avais cherché, mais... Mais pourquoi a-t-il fallu que je tente de t'embrasser ? J'ai tout gâché... Alors que tu venais de m'avouer que tu pourrais peut-être m'aimer comme je t'aime un jour, j'ai tout détruit. Je ne suis qu'un idiot, et je suis responsable de mon propre malheur. A cause de moi, et de moi seul, tu ne me toucheras jamais, et tu ne me laisseras plus jamais te serrer contre moi. Et je ne pourrais même pas t'en vouloir, car c'est tout ce que je mérite. "

      Pourquoi leur relation ne pouvait-elle pas être simple, comme tant d'autres ? Pourquoi ne pouvait-il pas se contenter de l'amitié que lui avait offert très tôt son protégé ? Pourquoi était-il tombé amoureux de lui, lui qui n'avait jamais aimé personne auparavant ? Tout cela était tellement injuste, le monde était mal fouttu, et loin d'être parfait.

      " Sommes-nous donc condamnés à ne pas nous entendre ? Pourtant, cela avait si bien marché ces derniers temps. A croire que le bonheur, ou du moins ce qui semble l'être, n'est pas éternel. Qu'est-ce qu'on va devenir, tous les deux ? Qu'est-ce qu'on va faire ? Mihaïl... Que veux-tu que je fasse ? "
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